1 juillet 2007
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Hé bien, ça y est: j'en tiens une (je parle de la polémique). Ah, c'est un peu la rançon du succès. Comme c'est ma première polémique, je vais la bichonner, la traiter de façon privilégiée.
Quel est , me direz-vous, l'objet de cette polémique ?
Il s'agit du billet que j'ai consacré aux insultes. Un lecteur m'a adressé un commentaire relativement long.
D'habitude, je décide d'y répondre en faisant à mon tour un autre commentaire. Mais j'ai trouvé ici que les critiques étaient suffisamment fortes pour faire l'objet d'un autre billet.
Par commodité, je republie le commentaire en question dans son intégralité.
Le principal méfait de l'enseignement et de l'apprentissage des sciences "sociales" est justement d'étudier les faits comme des "objets" et de sombrer dans le sacro-saint "relativisme culturel".
Tout se vaut, les tags est les injures ne sont plus que l'expression d'une "culture". Jack Lang en est un spécialiste.
Les injures de Haddock sont exotiques et drôles, mais celles entendues dans les lycées ne deviennent qu'objet d'étude pour sociologue à la petite semaine...
De temps en temps (rarement), certains se penchent pour voir les dégats occasionnés par ceux qui ne possèdent qu'un vocabulaire de 400 mots, dont une bonne partie d'expressions dites "imagées". Ils sont loin d'être béats d'admiration, mais soulignent plutôt les difficultés d'intégration de ces illétrés.
Va donc trouver un boulot "bien payé" quand tu causes 400 mots ! Certains jeunes crachent sur la culture ("savante"), l'orthographe, la syntaxe, la grammaire ("à quoi ça sert ?"), mais jamais sur le pognon.
Dur pour eux plus tard...
Tout ça pour dire que je ne m'enthousiasme pas pour le nouveau jargon en tant qu'"objet d'études". Je dirai même que ça me fait plutôt chier, puisque on en parle...
Un peu plus de "savoir savant", un peu moins de sous-culture des banlieues. Un peu plus de morale, beaucoup plus de français, beaucoup moins de socio. Houla ! que c'est réac !
Signée : un prof de SES qui ne partage pas ton analyse "distanciée".
bpush le 30/06/07
Que puis-je à mon tour répondre ?
- j'avoue ne pas comprendre la première phrase: considérer les faits sociaux comme des choses ne conduit pas à tomber dans le relativisme culturel. C'est une règle élémentaire de la méthode sociologique: peut-on construire des connaissances sans mettre à distance le sens commun à propos du réel ? Nous avons tous des représentations sur les insultes, des jugements de valeur. Ne pas les mettre à distance, c'est s'empêcher de comprendre cet acte social dans toutes ces dimensions. En quoi cela conduit-il au relativisme culturel ??
Dois-je comprendre que, parce qu'on applique la même méthode d'analyse à des objets divers (les insultes, les tags, le chômage, l'exclusion, le suicide...), on tombe dans le relativisme culturel ? Je n'ose y croire tant l'argument me parait fragile (si ce que je viens d'écrire n'est pas une formule polémique à fleuret moucheté, alors...^^).
Sur l'argument du relativisme culturel, je suis par contre d'accord avec toi: tout ne se vaut pas, j'essaie, comme toi de lutter contre cette idée démagogique qui laisse croire que "ce que je pense moi", vaut autant que ce qu'à écrit Marx, Durkheim, Smith, Ricardo, Weber, Tocqueville". Je pense que seuls les moyens d'y parvenir nous oppose (si ce que je viens d'écrire n'est pas une reconnaissance implicite de la valeur de l'adversaire, alors...^^).
J'essaye pour ma part de motiver les élèves pour qu'ils aient le goût d'accéder à ces grands intellectuels, puis je m'évertue à montrer la richesse et la diversité de leurs pensées (on ne peut laisser croire que Smith est un libéral primaire, que Marx a fait du marxisme pur et dur...). Cela passe, certes, par la lecture de leurs textes, mais pas seulement.

- deuxième élément d'étonnement: sous le prétexte d'étudier les insultes, on les valorise sans voir les effets négatifs d'un langage souvent peu adapté à la vie professionelle. C'est un procès d'intention qui m'est attribué (si cela ne s'appelle pas grossir les enjeux de la polémique, alors...^^).
Ma conscience professionnelle, que dis-je, mon honneur est bafoué, trainé par terre (^^) et je proteste: en effet, je signale la polémique entre A.Bentolila et B Lahire dans Wikipédia. Le premier rejoint la thèse selon laquelle ce langage enferme les jeunes dans leurs conditions. Je cite l'article de Wikipédia
Selon Bentolila, la promotion de l'argot contemporain, notamment au travers des textes de rap, constitue un discours démogagique visant à masquer une inégalité linguistique se nourrissant de l'exclusion et l'alimentant à son tour.Cela rejoint, je trouve assez bien ce que pense bpush, non ?
B.Lahire soutient une autre thèse: ce n'est pas parce qu'on maîtrise la langue française, voire la culture "savante", que cela permet de résister au communautarisme et de s'intéger socialement. L'illetrisme n'est pas la source principale d'exclusion (cf le sujet de bac de cette année ^^).
J'avais donc perçu les deux aspects du problème, cher collègue.
Il ne s'agit pas d'enjoliver ou de dénigrer un certain type de langage, mais de l'analyser, d'en saisir les tenants et les aboutissants, qu'ils soient sociologiques, économiques ou juridiques.
Mon billet était un état des lieux de mes recherches sur le web, qui pouvaient par la suite être à l'origine d'un TPE ou d'une étude en ECJS.
Il me semble au contraire que ton commentaire néglige la prise de distance par rapport à l'objet (dont je parlais dans le premier argument). Tu t'es dis: encore un prof de SES gauchiste (je sais, c'est à la mode: d'être à gauche chez les profs de SES, mais cracher sur Mai 68 est aussi une mode) qui, pour intéresser ses élèves tombent dans la démagogie, dans le jeunisme. Tu as donc des présupposés sur pas mal de choses, non ? ( Aie, c'est vache, une attaque par derrière ^^)

- troisième remarque pour finir, c'est celle de l'arroseur arrosé ! Pour quelqu'un qui demande plus de rigueur, plus de morale, beaucoup plus de français, lire :
"je ne m'enthousiasme pas pour le nouveau jargon en tant qu'"objet d'études". Je dirai même que ça me fait plutôt chier, puisque on en parle... "
C'est savoureux, non ? On retrouve bien là une des fonctions sociales des gros mots (à vous de deviner laquelle).

En conclusion: cher collègue, je crois qu'il faut mettre plus de distanciation.
Moi j'ai trouvé 2 moyens pour le faire: je considère, à la suite de nos grands anciens, les objets sociaux et économiques comme des choses (ce n'est pas toujours évident, je l'avoue) et j'utilise l'humour.
Par contagion:
- il y a un an, j'écrivais cet article: "qu'est-ce qu'un prof de SES ?"
- Signalé par Marjorie Galy, voici un article sur le sujet et les commentaires qui suivent sont aussi extrêmement intéressants et montrent toute la richesse et la complexité du problème (merci Marjorie !). L'article est sur l'excellent site rue89.
il y aurait encore plein d'arguments à avancer...mais laissons le temps de la réaction (puisque mon collègue se qualifie lui-même de réac !)
Ajouter un commentaire (polémique si possible ^^)