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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 14:00
L'acculturation désigne "l'ensemble des changements provoqués dans les modèles culturels originaux par l'entrée en contact prolongé de groupes d'individus de cultures différentes" (selon Redfield, Linton et Herskovits dans leur Mémorandum publié en 1936 dans American Anthropologist).
Je vais essayer de mobiliser ce concept d'acculturation (étudié en classe de première) pour analyser les enjeux de la confrontation entre la culture numérique des adolescents et la culture scolaire.

La culture numérique des ados n'est pas encore une notion rigoureusement définie: s'agit-il d'une culture au sens anthropologique et sociologique (système plus ou moins cohérent de normes, valeurs, rôles/statuts qui permet de donner du sens aux actions sociales) ou un éventail de pratiques, d'instruments très différents ? De même, il conviendrait de préciser la notion d'adolescent qui ne vas pas totalement de soi.
Mais il me semble que l'on peut tout de même remarquer un certain nombre de points communs  (on peut consulter
ce billet pour mémoire). Elle comporte:

 

- des normes / pratiques numériques à usage personnel (les plus développées): usage intensif des blogs, des messageries instantanées, des sites de téléchargements et du moteur de recherche Google.


- des normes / pratiques numériques à usage scolaire: faire des recherches sur Google, utiliser wikipédia, un traitement de texte, des sites de devoirs payants et personnalisés, des visites sur les sites disciplinaires, des recherches de corrigés, les forums (type yahoo questions et réponses), des services de traduction en ligne...





Ces normes se justifient par rapport à des valeurs , des croyances de plus en plus répandues: la fascination de la puissance de la technologie (le web 2.0 accentue cette croyance car il a rendu ces technologies facilement accessibles), la valorisation de  l'autonomie individuelle (savoir se distinguer du monde adulte mais aussi de ses pairs en affichant sa singularité, on le voit clairement dans les skyblogs) et l'insertion dans un un fonctionnement en réseau interactif (ce qui compte, c'est moins le nombre d'articles dans un skyblog que le nombre de commentaires ou d'amis).

 

les sources de conflits entre la culture scolaire et la culture numérique des ados:


- la gestion du temps:

 

cette culture numérique occupe des plages horaires très importantes, plus grave encore, la perception du temps des ados est très différente de celle du temps scolaire.

 

 

Leur "temps" est sans limite (c'est eux-mêmes qui le gère, ils ont du mal à s'arrêter, certains développent même des comportements addictifs), ils doivent être très réactifs (il faut répondre dans l'instant, ils privilégient le court terme, les articles courts...).

Tout le contraire du temps scolaire: il est structuré (le découpage en plages horaires...), à  moyen et long terme (l'utilité n'est pas visible immédiatement...), la réactivité est beaucoup moins fréquente (on privilégie la stabilité voire la routinisation des comportements).



- la question de la technologie:

 

elle exerce un pouvoir de fascination chez les adolescents, en développant notamment un sentiment de toute puissance et de "pensée magique": on le voit à propos du sentiment d'impunité en matière de téléchargement, beaucoup ont l'impression qu'il y a tout sur le net, que Google va donner la solution.

Dans la culture scolaire (surtout française), la technologie est regardée avec méfiance (voire mépris), ce qui fascine c'est le savoir, la culture savante parce qu'ils sont source d'émancipation.


- l'enjeu de rapports de force entre les adoslescents et les adultes 

 

 

Les tic permettent aux ados d'obtenir des pouvoirs (donc une liberté) sur les contraintes imposées par les parents: ceux-ci ont financé l'investissement matériel dans le but d'aider leurs enfants à s'intégrer au monde moderne.


Les adolescents vont utiliser les TIC comme un moyen d'échapper aux contraintes scolaires: comment savoir si votre enfant fait des recherches sur Google ou s'il est sur MSN pour échanger avec ses camarades ? Impossible de contrôler car ils font les deux en même temps (d'ailleurs beaucoup utilisent MSN pour s'entre-aider scolairement), en plus, en un clic de souris, on fait disparaître l'activité ludique pour ne montrer que l'activité scolaire.



Ce jeu du chat et de la souris est également manifeste dans leurs rapports avec les enseignants: le copier-coller, la recherche de "devoir tout fait" relèvent de cette même logique de confrontation.

 

 

 

 




le critique gastronomique Anton Ego dans Ratatouille

 

 

 




Que se passe-t-il lorsque des groupes de cultures différentes ont des contacts durables ?
En simplifiant, on peut montrer que plusieurs cas sont possibles:

 1 / un refus de l'autre culture.

Les manifestations de ce refus sont diverses: le groupe entre en résistance active,et peut mener une contre-acculturation (on réaffirme de façon très vigoureuse sa culture "d'origine" pour mieux stigmatiser l'autre culture: par exemple, chez les enseignants, on peut voir des postures qui consistent à snober internet).


Autre manifestation, plus passive: les individus se replient sur eux-mêmes, on ne veut pas voir ce qui se passe chez l'autre. Un peu comme si les adolescents et les enseignants vivaient dans deux mondes différents, chacun considérant qu'il n'y a rien à apprendre de l'autre, les contacts sont artificiels, le produit de ces relations tourne à vide.


Comment expliquer ces postures ?


Les deux cultures paraissent aux yeux de chacun (à tort ou à raison) trop éloignées l'une de l'autre . Ici, on pourrait l'analyser en termes de conflits entre les générations: "ils n'ont pas les mêmes centres d'intérêt, ils ne parlent pas la même langue...". ("ils" pouvant désigner les adolescents ou les enseignants)


Autre facteur explicatif: les emprunts à l'autre culture risqueraient d'avoir des effets destructeurs sur l'identité du groupe.

Ainsi, du côté des élèves,  s'engager personnellement dans  la culture scolaire  comporte un risque majeur: celui de "se couper de ses pairs".


Du côté des enseignants, prendre en compte ces cultures juvéniles fait craindre de perdre son autorité ("les élèves en savent plus que moi, je ne veux pas paraître ridicule").


Ces situations font entrer les individus dans une logique de "perdant-perdant": les enseignants ne pourront plus exercer leur métier et les élèves passeront à côté des apports de la culture scolaire et iront de déceptions en échecs personnels.


D'autres cas de figure sont également possible:


  2 / des mécanismes de transferts entre les cultures.

En théorie, on peut dresser une graduation dans les transferts / échanges entre les cultures

a- les individus acceptent en grande partie l'autre culture, c'est l'assimilation (qui n'est jamais totale cependant).
b- les individus des deux cultures coexistent, ils empruntent quelques aspects à l'autre groupe.
c- le syncrétisme: apparition d'une nouvelle culture qui est le fruit d'une combinaison d'éléments issus des deux cultures.


Dans notre cas de figure, la situations a- parait peu probable. On imagine mal la culture numérique des adolescents devenir la culture dominante. L'inverse n'est guère envisageable non plus: les adolescents adoptent la culture scolaire (en l'état) et abandonnent progressivement une grande partie de leur culture numérique.
Les cas b et c sont envisageables pour deux raisons:
- de plus en plus d'enseignants savent qu'ils ne peuvent plus rester en dehors de cette généralisation des TIC chez les adolescents.
- les adolescents ont des lacunes importantes dans la maîtrise des TIC d'une part (voir
ce billet); le besoin d'apprendre, de découvrir, de s'engager, d'analyser reste toujours très fort d'autre part.

Pour quelles raisons cette prise de conscience ne se traduit pas encore dans les pratiques ?
Il existe évidemment différentes explications (je ne traiterais de la question de l'équipement des établissements qui n'est pas périphérique mais exigerait à elle seule de longs développements).
Sans prétendre à l'exhaustivité, deux facteurs me paraissent éclairants:

- les enseignants sont encore sur un mode défensif qui me parait paradoxal.
Défensif: la méfiance envers les TIC reste de mise. Nous "montons sur nos grands chevaux" à propos de Wikipédia. Elle n'est pas considérée comme fiable, certains interdisent même aux élèves la référence à cette encyclopédie qui est souvent la référence  en tête des résultats de recherche avec Google. Le "copier-coller" et l'attitude de consommateur sont souvent dénoncés avec vigueur.

Pourquoi paradoxal ? Cette posture me parait contre-productive. Je voudrais tout de même que nous regardions nous-mêmes nos pratiques professionnelles:
- qui peut dire qu'il n'a jamais utilisé le copier-coller ? Quand je vois par exemple les photocopies de pages entières d'autres manuels, si ce n'est pas du copier-coller, c'est quoi ?
Je pourrais faire les mêmes remarques sur les sites disciplinaires où quelques collègues produisent des séances et beaucoup utilisent leur travail en l'adaptant plus ou moins.
Soyons moins hypocrites pour essayer de réfléchir au problème. A quel moment, pour quels types d'activités pouvons-nous tolérer le copier-coller ou le refuser catégoriquement ?
Cette discussion apporte des arguments intéressants
 

- Vouloir intervenir dans la culture numérique nécessite de mobiliser des compétences qui sont non seulement nouvelles (je n'ai pas été formé pour cela) mais peu formalisées. En effet, on apprend sur le tas, au fil des expériences personnelles. Ce qui explique certaines réticences: la peur devant la complexité (apparente) de la technologie; les savoirs accumulés ne sont pas validés ou reconnus, les compétences sont partielles (certains maitrisent mieux Excel, d'autres sont des internautes confirmés...).
Cette situation est donc très déstabilisante pour enseigner, elle peut générer une reprise en main de l'usage des TIC (on impose aux élèves des exercices avec des consignes très strictes) ou au contraire un laisser faire (je serais bien incapable de leur donner une méthode de recherche car moi-même je tâtonne...).


  Kandinsky structure joyeuse


Pour prolonger:

- un  très bon article de Christine Dioni qui m'a inspiré: "l'acculturation numérique des adolescents: un défi pour la profession enseignante ?  voir ce lien

- le toujours excellent blog de Bruno Duvauchelle et notamment ce billet:  "Nés avec le numérique"

Le jingle d'aujourd'hui est mon dernier coup de coeur, son album tourne en boucle depuis 15 jours, une vraie découverte, écoutez moi cela (ce n'est toujours pas du rap, mais c'est un peu plus tendance que mes jingles précédents ^^)

free music




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commentaires

C
bonjour, puique vous vous êtes intéressé à mon étude sur l'acculturation numérique des ados, la version achevée de ma réflexion se trouve làhttp://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/25/95/63/PDF/rapportrecherche0208.pdfmeci de vos réactions éventuelles
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L
@ jordan : la tektonik n'est pas vraiment une culture si on tient compte qu'elle disparaitra d'elle meme d'içi 1 an ou 2 c'est plutot une mode enfin bon....un article trés interessant pour changer :-Dde mon point de vue (pas trés objectif je l'avoue) de jeune utilisant et vivant avec internet et l'ordinateur j'aurais plutot eu tendance a dire que la culture numerique aurais vite fait d'assimiler la culture scolaire. Mais avec un peu plus de recul je dirais plus qu'il y aura un syncrétisme avec l'apparition d'une nouvelle culture mixte ou les TIC seront largement plus présentes dans l'éducation.Cepandant je pense pour ma part que si il faut chercher une assimilation quelque part c'est plutot du coté de l'industrie du disque car en effet ils me font bien marrer tout les politiques qui cherchent a nous empécher de télécharger sur emule car c'est un combat perdu d'avance. Meme si les majors essayent de s'accrocher tant bien que mal a leurs monopoles ( ou plutot oligopole pour étre plus juste..) il ne resisteront pas trés longtemps a moins qu'il sache s'adapter et nous proposer des moyens aussi simple que emule mais légaux...car effectivement qui voudra s'embéter a passer 1H sur le net a payer par carte bleue sur le net etc alors qu'en 10 minutes méme pas on peux avoir la chanson qu'on veut...enfin voila g un peu dérivé du sujet mais bon....bonne continuationP.S : je vous conseille a moins que vous ne l'ayez deja lu un exellent article du monde 2 de il ya 2 ou 3 semaine sur le repect de la vie privée dans le monde du web 2.0  qui s'appelle "peux -t-on encore disparaitre?" ....
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C
<br /> Lukana a en partie raison sauf qu'on ne sait pas si ce style musical n'est qu'une mode ou un nouveau genre musical (comme le rap, la techno etc...), c'est un peu tôt,<br /> non ? J'en déduis donc que Lukana n'est pas vraiment un adepte de cette pratique ^^<br /> <br /> Ton commentaire sur l'industrie du disque est intéressant, il montre que les pratiques numériques bouleversent radicalement certaines pratiques culturelles. Le fait que beaucoup de personnes<br /> (surtout en france) téléchargent illégalement apportent à la fois des avantages et des incovénients:<br />    - l'accès à certains biens culturels est beaucoup plus aisé. Ce qui permet une plus large diffusion. Ainsi, les cultures musicales peuvent s'étendre, on découvre de nouveaux styles, de<br /> nouvelles tendances etc... Ce qui permettra à plus ou moins long terme d'avoir plus de créativité, de diversité culturelle. Il faut tout de même nuancer car lorsqu'on regarde attentivement ce qui<br /> est le plus téléchargé, ce sont les films ou les titres phares de l'industrie culturelle.<br />     - le problème majeur réside dans le mode de financement des industries culturelles. Les ventes de CD baissent, comment un artiste peut-il vivre ? Certes, une grande partie des<br /> coûts de production sont imputables aux maisons de disques et aux distributeurs, mais il n'empêche. On a donc d'autres modes de financement à rechercher, tous ne sont pas forcément optimaux. Par<br /> exemple, augmenter le prix des places de concert (pour combler le manque à gagner) risque de réduire le nombre de personnes prêtes à acheter un concert à 40 ou 50 euros et se priver d'écouter de la<br /> musique en live (spectacle vivant) ou de n'acheter que des concerts d'artistes reconnus (il faut justifier une telle dépense). La réflexion doit donc s'orienter vers de nouveaux modes de<br /> financement...<br /> <br /> Merci pour la référence à l'article du Monde 2, je vais essayer de le retrouver à la bibliothèque.<br /> <br /> <br />
J
Et, ben oui ce blog existe toujours et meme avec mon bac ES en poche, je dois avouer que les sujets economiques et sociaux m'interresse toujours  autant ! ( Bon j'avoue c'est plutot les sujets sociaux ) L'accultutration est en effet un phénomène que je rencontre beaucoup en travaillant avec les enfants ! Avec comme exemple l'apparition de la tektonic ( euhh ! je sais pas si sa s'ecris comme ca ! ) En effet ils y a ceux qui vont adhérer à ces changements en achetant un t-shirt fluo qu'ils auraient tout simplement ingnorer un mois de cela ! Et il y a ceux qui n'adhere pas a cette nouvelle culture et la rejette categoriquement. Ce rejet va se materialiser par des vetements sombres a l'effigie de Tokio Hotel ^^ ! ( c'est un exemple ) Cela rejoint donc la contre-acculturation que vous mettez en avant dans votre article ! Voila ca m'a fait plaisir de mettre un petit commentaire sur ce blog toujours aussi interessants ! A bientot !
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C
<br /> Bonjour et Merci Jordan<br /> <br /> J'espère que cette année se déroule bien ...apparemment je vois que tu es dans ton milieu, avec les jeunes ^^<br /> <br /> Pour en revenir à l'article, je pense qu'effectivement, beaucoup utilisent les pratiques culturelles pour se distinguer, s'identifier, se reconnaître...parce que c'est leur fonction !<br /> <br /> <br />
C
Instructif et interessant.Bonne journée.:)
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C
on vous connaissait cimme aimant l'art avec les tableaux notamment ici celui de Dali avec ses montres, mais moins en fan de Ratatouille ... sacré acculturation dis donc !
Répondre
C
<br /> C'est cela l'acculturation Clément: aller au contact d'une culture qui soit différente de la sienne mais qui comporte quelques points communs pour que l'enrichissement<br /> soit mutuel.<br /> <br /> <br />

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