Cette amnésie commence dès 1913 : la loi qui institue l'essentiel du code électoral est adoptée sans décompte des voix et sans débat.
Elle est appliquée aux élections générales de 1914 : la presse ne fait pas l'écho d'incidents majeurs sauf le Petit Parisien qui note que l'isoloir eut-il fallait s'y attendre- un certain succès de curiosité »
(27 avril 1914)
La controverse sur l'isoloir ne se réduit pas à une simple querelle sur une procédure technique, ce qui serait dérisoire. Elle oppose des conceptions du citoyen et du vote derrière la façade des arguments techniques, elle est révélatrice des oppositions entre des modes de domination politique et des types d'entrepreneurs politiques.
article 46 de la loi du 15 mars 1849, les électeurs « apportent leurs bulletins préparés en dehors
de l'assemblée », puis « l'électeur remet son bulletin fermé ? le Président le dépose dans la boîte du scrutin? » (article 48).
La loi stipulait que « le papier doit être blanc et sans signes extérieurs » (article 47)
l'électeur remet au président son bulletin fermé. Le président le dépose dans la boite du scrutin
- il s'agissait de vérifier qu'un seul bulletin allait être introduit dans l'urne
- mais en remettant son bulletin, l'électeur était démis du geste ultime . cela concorde avec la représentation hiérarchique d'un ordre social fondé sur l'existence de liens intermédiaires.
2° ) un travail de codification très long
la loi du 29 juillet 1913 se présente en apparence comme une codification cohérente qui forme « système ».
l'enveloppe uniforme
l'isoloir
l'unicité d'inscription sur les listes électorales
une représentation des candidats parmi les scrutateurs
Rapports parlementaires | Débat à la Chambre des députés | Débats au Sénat | ||
Juin 1876 : Rapport Malezieux sur l'enveloppe | | | ||
Mai 1880 : Rapport Girard sur l'enveloppe | L'enveloppe est adoptée | Novembre 1880 : renvoi en commission, on évoque l'association de l'enveloppe et de l'isoloir | ||
1883 : Commission parlementaire spéciale associant l'enveloppe et l'isoloir | | | ||
Juillet 1885 : Rapport Corentin-Guyho sur l'enveloppe et l'isoloir | Pas de discussion | | ||
Juillet 1886 :Rapport Gaussorgues sur l'enveloppe et l'isoloir | Février 1889 : le vote sur l'article 3 (l'isoloir) est réservé, intervention du ministre de l'intérieur et renvoi à la commission | | ||
Février 1890 :Rapport Trouillot | Avril 1892 : rejet de l'article 1 (papier uniforme) | | ||
Juillet 1897 : Proposition Defontaine | | | ||
Janvier 1898 : Rapport Bienvenu Martin | Avril 1898 : la proposition de loi (issue de la proposition Defontaine) est rejetée par 265 voix contre et 216 voix pour | | ||
Mars 1900 : Rapport Ruau | Décembre 1901 : le président du conseil (Waldeck-Rousseau) est opposé à l'article sur l'isoloir, l'article est repoussé par 344 voix contre 207 | | ||
Juillet 1903 : Rapport Ruau | Octobre 1904 : l'ensemble des articles est adopté Novembre 1905 : l'ensemble des articles est adopté par 460 voix contre 125 | Juin 1905 : l'article sur l'isoloir est rejeté par 170 voix contre 116 Février 1906 :l'article sur l'isoloir est rejeté | ||
Février 1908: Rapport Reinach | Juin 1908 : l'ensemble des articles est adopté par 485 voix contre 74 Juin 1909 : résolution demandant d'activer la mise à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi Janvier 1910 : interpellation du gouvernement pour l'inviter à faire adopter la proposition de loi par le Sénat | | ||
Février 1912 : Rapport Reinach | Mars 1912 : l'ensemble des articles est adopté par 505 voix contre 0 Juillet 1913 : la loi est adoptée | Juin 1913 : l'ensemble des articles est adopté sans décompte des voix |
1857 | 1872 | 1877 | 1884 | 1903 | 1911 | 1913 |
Australie | Royaume-Uni | Belgique | Norvège | Allemagne | Chili | France |
3°) facteurs explicatifs
pour l'essentiel, c'est le contexte politique et institutionnel qui explique un tel retard
- jusqu'en 1904, il n'y a pas de majorité à la chambre des députés et au sénat. Chaque fois qu'une majorité paraissait devoir s'affirmer, des défections décisives intervenaient, notamment sur l'institution de l'isoloir
- jusqu'en 1901, la position des réformateurs était mal assurée : soit l'isoloir était présenté comme une simple garantie, soit il s'agissait d'une mesure absolument indispensable. De l'autre côté, les manoeuvres d'obstruction et l'enlisement dans les navettes parlementaires ont été très efficaces.
- Chaque fin de législature obligeait à remettre l'ensemble du dispositif (les 4 dispositions) sur le métier
- Le code électoral en vigueur en France comme le déroulement concret des élections donnaient suffisamment de satisfaction pour qu'il n'y ait pas d'urgence. Ce n'était pas le cas pour l'Australie : beaucoup de troubles et d'irrégularités mettaient en danger les élections. De même au Royaume-Uni , la corruption électorale était une tradition avant l'adoption du Ballot Act en 1872.