19 août 2006
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11:53
Un billet sur l'actualité économique de ce mois d'août sur l'affaire SEB.
Un petit rappel des principaux faits que j'ai sélectionnés et un commentaire pour essayer de comprendre les enjeux économiques et sociaux.
D'abord les faits:
1 / SEB, n°1 mondial du petit électro-ménager depuis l'achat de Moulinex en 2001 (voir ici) rachète le leader chinois du matériel de cuisine Supor (il représente 40 % des ventes chinoises, sa croissance est phénomènale: 40 % en moyenne par an depuis 2000).
Le prix du rachat: 240 millions d'euros (chaque action Supor a été payé 18 yuans alors qu'elle en valait 7 en avril, cette hausse des cours s'explique par des fuites).
Le rachat se fera en 2 temps:
- SEB va prendre 30.24 % du capital de Supor en achetant des actions existantes et en augmentant le capital de Supor (émission de nouvelles actions)
- SEB aura une option d'achat sur 30.76 % du capital et lancera une offre d'achat sur les actions restantes.
SEB a voulu saisir l'opportunité d'une nouvelle réglementation chinoise en matière de fusions-acquisitions: les acquéreurs étrangers pourront maintenant payer en actions et non plus en cash (comme ce que Mittal a proposé à Arcelor).
Les 240 millions seront financés en grande partie par l'endettement de SEB.
2 / En France, les syndicats CGT, FO et CFDT montent au créneau:
- les mesures de reclassement des salariés français licenciés n'ont pas été mises en place: en 2002, la direction avait promis des projets de réindustrialisation qui ne sont pas encore concrétisés; récemment, la direction aurait refusé de financer des préretraites à 53 ans.
- les syndicats craignent qu'avec ce rachat, une partie des 7 000 salariés soit à nouveau sur la sellette dans quelques mois: SEB fera fabriquer le bas de gamme par Supor en raison de coûts de production plus faibles.
"Je n'ai aucune confiance dans les promesses de Thierry de La Tour d'Artaise (le PDG de SEB). SEB va poursuivre son désengagement de France et d'Europe dans les années qui viennent. Ce ne sont pas les 5 000 salariés chinois qui nous volent nos emplois, c'est la direction." J.P. Antoine (CFDT SEB)
On a ici une illustration des enjeux économiques et sociaux actuels:
En économie, on appelle cela un IDE (investissement direct à l'étranger).
Certains ont été choqués lorsque Mittal (Inde) a racheté (Arcelor, Europe); ici c'est la même chose sauf qu'il s'agit d'une entreprise française...
On peut donc dire que c'est le "jeu économique" actuel, une sorte de Monopoly à l'échelle planétaire. Sauf que dans le Monopoly, on rachète des rues (qui permettront d'engranger plus de revenus) alors que dans ces exemples, ce sont des "mariages d'entreprises de nationalité différentes". Et que, comme dans les mariages civils, 1/3 d'entre eux sont des échecs. En effet, faire fonctionner 2 entités ayant des cultures différentes entraîne des coûts de coordination.
Le motif annoncé est celui d'avoir un accès à de nouveaux marchés à très forte croissance.
Si on regarde les chiffres, cela paraît évident: vous trouverez les chiffres de SEB (sur le site des Echos)qui ne sont pas brillants (chiffre d'affaires et bénéfice), alors que l'entreprise chinoise est en bonne santé sur un marché à fort potentiel.
On ne peut quand même pas s'empêcher de prendre en compte un autre motif avancé par les syndicats: la recherche de coûts de production plus faibles (ce qui permettraient ensuite de justifier des délocalisations...). Un argument à relativiser cependant -cf blog d'O.Bouba-Olga)
Le bilan en termes d'emplois sera-t-il négatif ?
Il est évidemment trop tôt pour le savoir, il y a effectivement des risques, mais:
-a- en accédant au marché chinois, SEB le connaitra mieux (ce qui est crucial étant donné les différences de cultures, de développement...).
Cela lui permettra de vendre des produits haut de gamme fabriqués en France (la main d'oeuvre chinoise, les infrastructures, les coûts de coordination ne permettent pas encore de le faire en Chine)
-b- Conséquences: on peut s'attendre à une baisse des emplois industriels peu qualifiés chez SEB france, et parallèlement une augmentation des emplois qualifiés.
La difficulté viendra de la période de transition. D'où mon dernier point.
On voit ici que deux positions s'affrontent sur cet exemple:
- celle qui met d'abord en avant la logique économique: "Ce que les syndicats oublient, c'est qu'il ne peut y avoir de social sans base économique forte" (position des Echos du 16 août).
Le social est subordonné à la logique économique, toute puissante (le nerf de la guerre). Dans certains, c'est même la logique financière qui domine l'économie.
- celle qui, au contraire, exige d'abord une logique sociale, "on nous vole nos emplois", c'est l'économie mondialisée qui détruit tout le tissu social (sorte de patriotisme social...).
Le dialogue de sourds peut alors commencer:
Les uns voulant montrer que les syndicats ne comprennent rien à l'économie, à la compétition internationale; les autres diabolisant la mondialisation, la finance...
C'est ce qui paraît le plus génant dans cet exemple: la dégradation des relations sociales dans l'entreprise SEB: aucun partenaire ne fait confiance à l'autre.
Etant donné la structure de l'actionnariat (très familial), la direction estime-t-elle avoir "les pleins-pouvoirs" et donc n'éprouve-t-elle pas le besoin de négocier ?
De l'autre côté, les syndicats estiment-ils avoir été bernés par les précédentes gestions de la direction ?
Alors que justement, face à ce pari stratégique, c'est bien de la bonne marche des négociations que dépendra l'échec ou la réussite en termes d'emplois sur les sites français.
On aurait pu aussi parler des droits de l'homme en Chine, la réponse à la question faut-il ou non investir en Chine semble avoir été donnée (et mon billet est déjà long!)
Alors ?
Cette opposition est stérile: ces deux logiques doivent être prises en compte en même temps, et non pas l'une après l'autre (ou l'une au-dessus de l'autre).
Les pays scandinaves, pourtant très ouverts aux marchés mondiaux, montrent qu'il est possible d'avoir une cohésion sociale, peu de chômage et une bonne compétitivité.
Une affaire à suivre donc...
Un petit rappel des principaux faits que j'ai sélectionnés et un commentaire pour essayer de comprendre les enjeux économiques et sociaux.
D'abord les faits:
1 / SEB, n°1 mondial du petit électro-ménager depuis l'achat de Moulinex en 2001 (voir ici) rachète le leader chinois du matériel de cuisine Supor (il représente 40 % des ventes chinoises, sa croissance est phénomènale: 40 % en moyenne par an depuis 2000).
Le prix du rachat: 240 millions d'euros (chaque action Supor a été payé 18 yuans alors qu'elle en valait 7 en avril, cette hausse des cours s'explique par des fuites).
Le rachat se fera en 2 temps:
- SEB va prendre 30.24 % du capital de Supor en achetant des actions existantes et en augmentant le capital de Supor (émission de nouvelles actions)
- SEB aura une option d'achat sur 30.76 % du capital et lancera une offre d'achat sur les actions restantes.
SEB a voulu saisir l'opportunité d'une nouvelle réglementation chinoise en matière de fusions-acquisitions: les acquéreurs étrangers pourront maintenant payer en actions et non plus en cash (comme ce que Mittal a proposé à Arcelor).
Les 240 millions seront financés en grande partie par l'endettement de SEB.
2 / En France, les syndicats CGT, FO et CFDT montent au créneau:
- il y a quelques mois en Janvier, le groupe annonce la suppression de 900 emplois en fermant trois sites en France dont certains estiment qu'ils étaient rentables.

- les mesures de reclassement des salariés français licenciés n'ont pas été mises en place: en 2002, la direction avait promis des projets de réindustrialisation qui ne sont pas encore concrétisés; récemment, la direction aurait refusé de financer des préretraites à 53 ans.
- les syndicats craignent qu'avec ce rachat, une partie des 7 000 salariés soit à nouveau sur la sellette dans quelques mois: SEB fera fabriquer le bas de gamme par Supor en raison de coûts de production plus faibles.
"Je n'ai aucune confiance dans les promesses de Thierry de La Tour d'Artaise (le PDG de SEB). SEB va poursuivre son désengagement de France et d'Europe dans les années qui viennent. Ce ne sont pas les 5 000 salariés chinois qui nous volent nos emplois, c'est la direction." J.P. Antoine (CFDT SEB)
On a ici une illustration des enjeux économiques et sociaux actuels:
1 / Quelle est l'opération réalisée ?
Ce n'est pas une délocalisation (des usines fermées en France, d'autres ouvertes en Chine); mais le rachat d'une entreprise (Supor, Chine) par une autre (SEB, France). En économie, on appelle cela un IDE (investissement direct à l'étranger).
Certains ont été choqués lorsque Mittal (Inde) a racheté (Arcelor, Europe); ici c'est la même chose sauf qu'il s'agit d'une entreprise française...
On peut donc dire que c'est le "jeu économique" actuel, une sorte de Monopoly à l'échelle planétaire. Sauf que dans le Monopoly, on rachète des rues (qui permettront d'engranger plus de revenus) alors que dans ces exemples, ce sont des "mariages d'entreprises de nationalité différentes". Et que, comme dans les mariages civils, 1/3 d'entre eux sont des échecs. En effet, faire fonctionner 2 entités ayant des cultures différentes entraîne des coûts de coordination.
2 / quels objectifs ?
Le motif annoncé est celui d'avoir un accès à de nouveaux marchés à très forte croissance.
Si on regarde les chiffres, cela paraît évident: vous trouverez les chiffres de SEB (sur le site des Echos)qui ne sont pas brillants (chiffre d'affaires et bénéfice), alors que l'entreprise chinoise est en bonne santé sur un marché à fort potentiel.
On ne peut quand même pas s'empêcher de prendre en compte un autre motif avancé par les syndicats: la recherche de coûts de production plus faibles (ce qui permettraient ensuite de justifier des délocalisations...). Un argument à relativiser cependant -cf blog d'O.Bouba-Olga)
Le bilan en termes d'emplois sera-t-il négatif ?
Il est évidemment trop tôt pour le savoir, il y a effectivement des risques, mais:
-a- en accédant au marché chinois, SEB le connaitra mieux (ce qui est crucial étant donné les différences de cultures, de développement...).
Cela lui permettra de vendre des produits haut de gamme fabriqués en France (la main d'oeuvre chinoise, les infrastructures, les coûts de coordination ne permettent pas encore de le faire en Chine)
-b- Conséquences: on peut s'attendre à une baisse des emplois industriels peu qualifiés chez SEB france, et parallèlement une augmentation des emplois qualifiés.
La difficulté viendra de la période de transition. D'où mon dernier point.
3 / la logique sociale, les relations sociales...
On voit ici que deux positions s'affrontent sur cet exemple:
- celle qui met d'abord en avant la logique économique: "Ce que les syndicats oublient, c'est qu'il ne peut y avoir de social sans base économique forte" (position des Echos du 16 août).
Le social est subordonné à la logique économique, toute puissante (le nerf de la guerre). Dans certains, c'est même la logique financière qui domine l'économie.
- celle qui, au contraire, exige d'abord une logique sociale, "on nous vole nos emplois", c'est l'économie mondialisée qui détruit tout le tissu social (sorte de patriotisme social...).
Le dialogue de sourds peut alors commencer:
Les uns voulant montrer que les syndicats ne comprennent rien à l'économie, à la compétition internationale; les autres diabolisant la mondialisation, la finance...
C'est ce qui paraît le plus génant dans cet exemple: la dégradation des relations sociales dans l'entreprise SEB: aucun partenaire ne fait confiance à l'autre.
Etant donné la structure de l'actionnariat (très familial), la direction estime-t-elle avoir "les pleins-pouvoirs" et donc n'éprouve-t-elle pas le besoin de négocier ?
De l'autre côté, les syndicats estiment-ils avoir été bernés par les précédentes gestions de la direction ?
Alors que justement, face à ce pari stratégique, c'est bien de la bonne marche des négociations que dépendra l'échec ou la réussite en termes d'emplois sur les sites français.
On aurait pu aussi parler des droits de l'homme en Chine, la réponse à la question faut-il ou non investir en Chine semble avoir été donnée (et mon billet est déjà long!)
Alors ?
Cette opposition est stérile: ces deux logiques doivent être prises en compte en même temps, et non pas l'une après l'autre (ou l'une au-dessus de l'autre).
Les pays scandinaves, pourtant très ouverts aux marchés mondiaux, montrent qu'il est possible d'avoir une cohésion sociale, peu de chômage et une bonne compétitivité.
Une affaire à suivre donc...