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25 octobre 2006 3 25 /10 /octobre /2006 10:44
 Je voudrais, à partir d'un exemple concret, aborder une question économique majeure: celle des gains de productivité et de leur utilisation.
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J'ai choisi le cas de Renault qui me semble bien illustrer les enjeux du thème pour deux raisons:
      - cette entreprise a pleinement contribué à la prospérité des Trente Glorieuses (1945-1975), l'automobile étant, avec l'électroménager, le secteur économique symbolisant cette période de forte croissance;
     - Renault a subi la crise des années 70-80 de plein fouet pour connaître un renouveau à la fin des années 90.


Que mesure la productivité ?
C'est un indicateur d'efficacité du processus de production.
Concrètement, si on arrive à produire en utilisant moins de travail ou de capital par exemple, le processus de production sera plus productif (on peut aussi, avec les mêmes moyens produire beaucoup plus).
On le voit, il s'agit de comparer ce qui est produit (le ré
sultat) aux moyens utilisés pour produire.



Qu'est-ce qu'un gain de productivité ?
Les gains de productivité constituent l’objectif des innovations, en particulier des innovations de procédé.
Quand on met en œuvre une innovation dans la branche automobile, on va produire par exemple plus de voitures dans le même temps de travail (mettons de 10 à 12 voitures). La productivité a donc augmenté : ces deux voitures supplémentaires sont le fruit des gains de productivité.
Les gains de productivité ne sont pas de l’argent …

Ils peuvent évidemment se transformer en argent mais ce n’est pas toujours le cas.
Parler de gains de productivité signifie simplement que la productivité a augmenté. Cela ne nous dit rien sur comment on utilise cette productivité accrue. Essayons d'appliquer cela à Renault

 
Renault 1945-2005

Production, effectifs, chiffre d’affaires

 
Année
Production

(véhicules particuliers et petits utilitaires)

Effectifs
(1)
Chiffre d'affaires
(2)
mondiale
domestique
mondiaux, Groupe Renault
France branche automobile
mondial, Groupe Renault
France branche automobile
1945
12 036
12 036
 
23 250
 
36
1955
219 622
219 622
 
52 235
 
1 424
1965
590 431
551 904
 
62 902
 
4 536
1975
1 391 948
1 128 972
222 436
103 614
33 539
18 264
1985
1 637 634
1 499 979
196 414
86 122
122 138
72 644
1995
1 761 643
1 610 216
139 950
59 264
184 065
132 050
2005
2 515 728
1 268 259
 
41 338
39 458
 
 


Source: Freyssenet, M. « Renault : 1945-2005. Production, effectifs, chiffre d’affaires, résultat net, investissement ». Édition numérique, freyssenet.com, 2006,

Notes : 

(1) Les effectifs sont les effectifs au 31 décembre de l'année, y compris les salariés à contrat temporaire.

(2) Le chiffre d'affaires, le résultat net et les investissements sont en millions de francs. Le chiffre d’affaires est hors taxes à partir de 1971. En euros à partir de 2005.


Complétons par d'autres données nécessaires:
 
Source : INSEE
1945
1955
1965
1975
1985
1995
2005
 

SMIC horaire (en francs)

 
 
 
0.78
 
1.84
 
3.14
 
7.87
 
14.75
 
37
 
52.7
 

Durée annuelle moyenne du travail

 
 
2092
 
2168
 
1842
 
1750
 
1700
 
1680
 
1650
 

A partir de ces données, on peut réaliser différents calculs intéressants :

- la productivité physique du travail : nombre de véhicules produits / effectifs

- le prix moyen d’une Renault (en francs courants) : chiffre d’affaires / production

- le prix réel d’une Renault (en heures de travail d’un SMICARD) : prix moyen d’une Renault / SMIC horaire

  
Voici les résultats :
 
 
1945
1955
1965
1975
1985
1995
2005
 

Productivité du travail (France)

 
0.5
 
4.2
 
8.7
 
10.8
 
17.4
 
27.1
 
28.7
 

Prix moyen en francs courants

 
2 991
 
6 484
 
8 219
 
16 177
 
48 430
 
82 000
 
107 865
 
Prix réel (en heures)
 
 
3 834
 
3 543
 
2 617
 
20 55
 
3 283
 
2 216
 
2 046
 

Quels sont les gains de productivité des salariés français de Renault ?

En 1945, chaque travailleur produisait 0.5 voiture par an ; en 2005 28.7 voitures : autrement dit, le travailleur de 2005 est 58 fois plus efficace qu’en 1945 !!!

On s'aperçoit également que ces gains de productivité sont très importants au début (de 1945 à 1965 par exemple), puis augmentent moins vite par la suite.

 
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Comment Renault a-t-il utilisé ces gains de productivité ?


-         pour l’entreprise elle-même :
un travail plus efficace permet de baisser les coûts de production, donc d’augmenter les profits. Cela permet donc aussi de faire croître l’accumulation de capital. Effectivement, le résultat net passe de 50 millions de francs courants en moyenne dans les années 1960 à plus de 300 millions dans les années 1970. En 2000, il s'élevait à plus de 7 000 millions de francs.

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-         pour les travailleurs :

    de 1945 à 1975 le nombre d’emplois en France de Renault a été multiplié par 4.5 (on passe de 23 000 personnes à plus de 100 000 en 1975).


     Le travail étant plus efficace, il est mieux rémunéré (la hausse du SMIC est significative : de 1945 à 1975, il multiplié par 10 en monnaie courante).


      De plus, le salarié de chez Renault a eu droit à des avantages sociaux importants (cinquième et sixième semaine de congés payés). Il a aussi bénéficié d’une amélioration des conditions de travail : le nombre d’accidents du travail a considérablement baissé.

             Pourtant, depuis la crise économique, les effectifs France de Renault ont presque été divisés par 2.5., le SMIC a été multiplié par 6.5 en monnaie courante, la durée du travail a continué de baissé mais moins vite.

 

-         pour le consommateur :

     le prix réel d’une voiture a baissé de 46 %. En 1945, il fallait 3 834 heures de travail pour qu’un smicard puisse s’acheter une Renault neuve ; en 2005, il ne lui faut plus que 2046 heures de travail.



Les gains de productivité peuvent permettre de faire toutes ces actions : on baisse un peu les prix, un peu la durée du travail, on augmente un peu les salaires et les profits.

Pourtant, on sent bien que l'on a pas utiliser les gains de productivité de la même façon selon les époques:


- durant les Trente Glorieuses, l'entreprise et les travailleurs en ont largement profité, d'autant plus que ces derniers se sont structurés en contre-pouvoir puissant (rôle de la CGT chez Renault).


- dans la période récente, c'est plutôt l'actionnaire et le client qui bénéficie des gains de productivité.


Dès lors, on comprend bien l'enjeu des rapports de force pour le partage et l'utilisation des gains de productivité.


Si vous êtes arrivé jusqu'au bout de l'article, alors vous avez bien mérité une petite récompense: une visite virtuelle chez Renault pour voir comment l'entreprise recherche encore plus de productivité.



 

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commentaires

K
fort intéressant ... j'ai toujours le sentiment que lorsque les profits du gain de productivité ne sont pas utilisés pour augmenter les salaires et investir dans la recherche, ils ne servent alors pas l'intéret collectif, mais seulement quelques intérêt particuliers menant la société vers plus d'inégalité et moins de justice sociale ...
Répondre
C
D'excellentes remarques, et ce, sur plusieurs points sur lesquels je voudrais revenir:- concernant la part des constructeurs automobiles dans la valeur finale du produit, tu as tout à fait raison:En 2004, les fournisseurs de l’automobile  réalisent  en moyenne75 % du prix de revient de fabrication d’une automobile, le reste correspondant aux opérations d’assemblage. Ce qui pose effectivement un problème de comparaison des données chiffrées.Ceci dit, cela ne remet pas en cause la tendance générale que je voulais montrer: si Renault ne fabrique que 20 % d'une voiture, c'est parce qu'il estime qu'il est plus efficace de faire faire (c'est l'application de la division du travail qui est à l'origine des gains de productivité dans l'atelier, mais aussi dans le tissu productif).Je pense que ce mouvement des gains de productivité, inhérent ànotre système productif va se poursuivre, et par exemple dans l'automobile, va toucher le secteur de la distribution et des services de réparation.  Dans le coût final d’une automobile, la part des frais de distribution a progressivement augmenté depuis le début des années 1990. La part de la distribution pour un constructeur comme Renault représente 36 % du prix derevient d’une automobile. À titre de comparaison, la part de l’achat en composants représente 32 %, celle concernant les coûts de fabrication est de 17 %, et celle liée au frais généraux représente 15 %. En moyenne, chez un constructeur généraliste, la part des frais de distribution est passée de 31 % en 1992 à 35 % en 1998 en France.- les calculs sont aussi contestables concernant la productivité du travail: en divisant la production par les effectifs, on considère que le travail est homogène: on additionne des heures de travail d'ouvrier, d'employés, de cadres moyens et supérieurs... Ce qui est largement artificiel. J'en viens à une autre remarque que tu faisais concernant les écarts de salaire. Dans le numéro de Challenge du 12 au 18 octobre 2006, il y a une très bonne interview de Daniel Cohen sur les stocks-options: je cite "A son époque, Rockefeller estimait qu'un PDG ne devait pas percevoit plus de 40 fois le salaire de l'ouvrier de bases. Entre-temps, ce ratio a été multiplié par 10 !" On comprend pourquoi tant de gens sont réfractaires à l'économie de marché: ce sont aux salariés de payer la précarité, et les chefs d'entreprises qui récoltent les fruits de la croissance, et lorsque la conjoncture se retourne, ils ont des golden parachute...Je te remercie pour tes commentaires très enrichissant: n'hésite pas à intervenir, j'essayerais de prendre soin de répondre à tes critiques...
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R
Wouah Fernand Leger, j'adore !
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K
ce que tu oublies dans cet intéressant article, et qui conséquemment fausse tes conclusions, c'est que de 45 à 75, Renault, et l'industrie automobile construisait une voiture quasiment de A à Z. J'entend par là que l'entreprise Renault, ou Fiat où ce que tu voudras, manufacturait les pièces automobiles, puis les assemblait pour en faire des voitures ... <br /> ensuite, cette industrie s'est organisée de telle façon que la plupart des activités sont sous-traitées par d'autres entreprises, qui elles mêmes sous traitent (rang 1, rang 2 ... etc), d'où une baisse des effectifs chez renault, qui s'est traduite par une hausse des effectifs chez tous les sous traitants: Valeo, Bosh ... tu constateras ce phénomène en interrogeant n'importe quel PME qui à une activité mécanique ou plasturgique, ils seront très fiers de te dire qu'ils travaillent dans l'industrie automobile, même s'ils sont forunisseurs de rang 5 ... <br /> La productivité de Renault n'a donc pas augmenté de la façon dont tu le décrit puisque le processus de production n'est tout simplement plus du tout le même, Renault ne faisant guère plus que de l'assemblage en tant que processus de production, et la plupart des processus supports, conception, recherche et développement, marketing ... <br /> Ce que j'essaye de te dire, c'est que le calcul nombre de véhicule produits / effectifs ne peut pas être comparé entre 45, 75 et 2005 .... et donc qu'un travailleur de 2005 n'est pas 58 fois plus efficace car l etravail n'est pas du tout le même... <br /> Le cas de l'industrie automobile est judicieusement choisi car c'est le cas d'école de l'industrie manufacturière. Les conséquences de la réorganisation et l'externalisation de cette industrie seraient intéressantes à analyser et à développer, tu y trouverais plusieurs fils à dérouler selon ton point de vue ...<br /> Un autre sujet de reflexion qui me paraît aussi interessant et de se demander pourquoi personne n'envisage une société à croissance nulle ou décroissante.<br /> Pour reprendre un sujet de Mermet que tu sembles affectionner: il y a 15 ou 20 ans le salaire de Calvet alors patron de Peugeot avait fait scandale car 50 fois équivalment au smic. Aujourd'hui le pdg d'une entreprise de cette taille gagne 1500 fois le smic. C'est scandaleux.<br />  Cependant, et ce n'est ni démagogique ni scandaleux de le dire, mais juste lucide, l'ouvrier, le smicard, le chomeur ... celui qui est au bas de l'échelle ne demande pas plus dégalité, il demande la place de celui qui est au-dessus de lui. Car tu constateras qu'il y a beaucoup plus de syndicats ou de politiques pour parler de cette inégalité là, que pour s'insurger des conditions de travail en Tunisie, au Pakistan ou en Chine et pour demander leur amélioration ...<br /> Autrement dit, nous sommes toujours les riches de quelqu'un d'autre et chacun a sa propre grille de lecture dictée en général par ses propres intérêts, et une solution, aussi, serait peut être de cesser de vouloir posséder le dernier téléphone mobile, le dernier écran plat etc etc ...
Répondre
C
Voilà j'ai tout compris !
Répondre

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