Maurice (le patron) développe au début l'idée que le fiscalité ne permet pas d'embaucher ; il correspond à la grille d'analyse des Néo-Classiques en faisant une comparaison entre le coût salarial (salaires + charges sociales) et les gains permis par l'embauche d'un serveur supplémentaire (qui sont liés à la productivité marginale du travail).
Mais sa vision pose plusieurs types de problèmes :
- si on continue à baisser les charges, comment financer notre protection sociale collective ? Allons-nous nous aligner sur les pays ayant moins de protection sociale ?
- si on pense que le salaire est un coût (pour l'employeur), il ne faut pas non plus oublier qu'il est un revenu (pour l'employé), ce qui lui permet de consommer et donc d'alimenter la demande (ce qui est en contradiction avec l'explication de Kader pour qui le chômage résulte d'un manque de clients)
Gilbert est proche de Maurice lorsqu'il met en avant la liberté de créer une entreprise, de laisser faire jouer les lois du marché : lorsque l'offre de travail qui provient des actifs est supérieure à la demande de travail de la part des employeurs, les prix donc ici les salaires doivent baisser. Dans le cas inverse, les salaires augmentent. Pour cela, il faut que le marché du travail soit flexible (les prix s'ajustent à la hausse comme à la baisse). On comprend alors pourquoi les syndicats sont accusés d'introduire des rigidités : ils empêchent les salaires de baisser.
Mais ici également, la vision est partielle : elle présuppose que le salaire n'est qu'un coût, qu'il obéit à la loi de l'offre et de la demande.
On peut également s'interroger sur les conséquences macro-économiques d'une baisse des salaires sur l'appareil productif. Enfin, elle présuppose que l'individu employeur et l'individu employé sont égaux (le contrat de travail symbolisant l'engagement des deux parties). D'où d'ailleurs l'idée de Laurence Parisot sur le licenciement par consentement mutuel. Le seul problème est que le travailleur n'est pas propriétaire des moyens de production, il a donc besoin de l'employeur pour vivre.
Kader développe un thèse qui est ressemble à certaines approches Keynésiennes : s'il y a du chômage, c'est en raison d'une insuffisance de la demande effective. Celle-ci provient des anticipations des ménages (qui achètent des biens de consommation finale) et des entreprises (qui investissent et / ou achètent des consommations intermédiaires). En augmentant les salaires, en pratiquant une politique monétaire généreuse, on peut relancer cette demande, les entreprises anticipant cette relance se mettront à produire et à investir, ce qui créera de l'emploi.
Cette analyse s'oppose aux deux précédentes, elle a donc là aussi une vision partielle : l'employeur veillera à sa compétitivité, toute hausse de salaire risque de porter atteinte aux revenus de l'entreprise. De plus, si l'appareil productif n'est pas capable de répondre à cette hausse de la demande, les ménages et les entreprises consommeront des marchandises importées, ce qui ne contribuera pas à résoudre le chômage.
D'autres personnages ont repris toutes une séries de causes mettant en avant un bouc émissaire: la liste est longue. Le chômage, c'est la faute :
- aux chômeurs qui refusent l'emploi jugé peu rémunérateur. C'est la thèse du "chômage volontaire". Les chômeurs feraient leurs calculs: il ne serait pas rentable de travailler, il vaut mieux rester au chômage. J'ai déjà fait plusieurs articles sur ce point ici et ici pour ne pas me répéter.
- aux machines: cette approche peut être valide à court terme (si les gains de productivité sont plus élevés que la croissance économique, alors des emplois seront détruits); mais qui peut croire qu'en supprimant (diminuant ?) le progrès technique, le chômage disparaitra ? Qui peut croire que des pays ayant des taux de chômage faibles sont aussi des pays qui n'ont pas massivement investi dans les nouvelles technologies ? Doit-on attendre la solution du chômage au retour des métiers qui ont disparu (et que revivent les conducteurs de diligence et autres crieur de journaux...)
-aux étrangers (à l'immigré, au plombier polonais, à la Chine...)
Dans la région de Montbéliard, le retour massif d'immigrés, encouragé par Peugeot qui les employait auparavant a totalement perturbé la vie locale: certains commerçants ont dû fermer boutique, les PTT ont supprimé des postes, des médecins ont déménagé, les HLM n'équilibrent plus leurs comptes à cause des logements vides, les écoles ont supprimé des classes...Chez Peugeot, un immigré en moins a signifié un emploi en moins pour tout le monde car Peugeot n'a embauché personne, sans compter la hausse du chômage dans les autres secteurs d'activité.
Dictionnaire des idées reçues en économie, 1992
Pour ce qui est des délocalisations, voir l'excellent blog de Bouba Olga ici
Conclusion:
Si le problème était simple à résoudre, depuis le temps, cela se saurait. C'est pourquoi il est nécessaire de remettre les données à plat en démêlant le faux du vrai, en faisant la part des fantasmes et des vrais problèmes. Les premières analyses peuvent être valables à certaines époques, sous certaines conditions: on a pu parler de chômage keynésien ou classique selon le contexte. Les autres explications comme c'est la faute aux délocalisations ? à l'école ? au progrès technique ? aux étrangers ? aux femmes ? aux coûts du travail trop élevés ? ont comme point commun d'absoudre l'économie de marché et ses dysfonctionnements de toute responsabilité. Le chômage s'explique soit par une cause exogène (les pays d'Asie du Sud-Est ont ainsi remplacé les pays de l'OPEP comme responsables du chômage); soit par la faute des chômeurs eux-mêmes, parce-qu'ils sont trop chers (le coût du travail), pas assez formés (rôle de l'école) ou trop nombreux (les femmes et les étrangers). Le système économique a souvent été considéré comme une donnée à laquelle les agents économiques doivent s'adapter. Et si c'était plutôt au système économique de s'adapter aux besoins des gens ? En voilà une bonne idée...
