L'émission C dans l'air aborde des points essentiels, avec des invités de qualité.
L'autre document est un témoignage très poignant d'un exemple d'une jeune fille qui a été "sauvée" de l'exclusion.
Je sais que les deux documents peuvent paraître longs, mais je trouve vraiment qu'il apportent énormément d'informations et d'explications sur l'exclusion. Prenez le temps de les lire et de les regarder, vous ne serez pas déçu.

I / l'émission C dans l'air sur France 5 de 17h50 à 18h50 (rediffusée le soir vers 22h30 sur France 5).
C dans l'air - Les pauvres votent-ils ?
envoyé par analogue
II / Un cas de sauvetage social : histoire d'une jeune précaire racontée par une conseiller de mission locale d'après DEES mars 2001 (les prénoms sont fictifs)
Sabrina est une jeune fille de 18 ans dont les caractéristiques sociales - fille d'un ouvrier marocain en longue maladie, sortie de l'école en fin de troisième, habitant dans un HLM d'un des quartiers d'immigrés dans une vieille région ouvrière - semblaient l'assigner à faire partie de ceux que certains appellent aussi les « inemployables ».
Sabrina est la troisième d'une famille de six.
Son père, relativement âgé, ancien maçon, est en invalidité maladie ; une de ses deux soeurs aînées est en chômage longue durée, l'autre est décédée dans un accident d'automobile.
Sabrina a quitté l'école sans diplôme après avoir connu les différentes filières de relégation.
La première fois que Farid rencontre Sabrina dans son bureau de la mission locale, elle avait quitté l'école depuis six mois, elle est restée chez elle à s'occuper de ses frères et soeurs.
Elle a, durant ces 6 mois, rencontré un éducateur de quartier pour qu'il l'aide à trouver un contrat d'apprentissage, elle s'est aussi rendue à l'ANPE mais ne s'y est pas inscrite pour des raisons liées à son évitement des institutions, en particulier avec la peur du face-à-face avec le personnel de ces institutions :
A ce moment, l'argent était sa seule priorité. Farid cherche à faire un diagnostic de sa situation et se rend compte qu'elle avait une représentation assez négative d'elle-même :
Pour ces recherches de contrat, les conseillers incitent les jeunes à effectuer leurs démarches eux-mêmes.
Sabrina est allée voir un restaurateur, mais la rencontre ne s'est pas bien passée.
Elle s'est présentée en disant : « Vous cherchez des apprentis ? » (sur son ton agressif des banlieues) ; en jean-baskets, avec un look et une attitude qui n'était pas du tout adapté à l'exigence que pouvait avoir l'employeur.
C'est justement l'apparence physique qui avait au premier abord le plus surpris Farid : notamment le fait qu'il ne pouvait pas décider au premier coup d'oeil s'il avait en face de lui une fille ou un garçon.
Elle s'exprimait avec toute une gestuelle : « on sentait bien qu'elle avait envie, qu'il y avait une volonté derrière.
Je sentais qu'elle n'était pas dans une situation où elle est complètement en rupture ou dans une situation dépressive.
A l'issue d'un entretien, Farid lui propose de suivre une sorte de stage qui dure six mois et qui alterne périodes en entreprise et cours de remise à niveau.
Ce type d'action comprend à la fois un travail de socialisation et un moyen d'avoir des repères et des informations sur le marché du travail. Cette proposition de stage laisse Sabrina sceptique : les six mois lui paraissent trop courts pour une véritable formation ; elle se demande aussi sur quoi va déboucher cette formation. Farid lui présente les différentes phases : préqualification, qualification puis contrat d'apprentissage.
Sabrina étant trop démunie pour s'inscrire dans un projet de long terme, Farid fera le choix à sa place.
Il lui explique les délais, lui demande une liste des métiers qui l'intéressent avec les contraintes d'horaires, le contenu pour chaque emploi : « Je lui ai demandé si elle se sentait capable de me mettre ça par écrit ».
Ensuite, Sabrina était invitée à venir le revoir pour faire un travail en amont avant de rentrer dans la phase d'orientation. Comme il le craignait, elle n'est pas revenue le voir, elle ne s'est pas présentée le jour de la formation.
Il a cherché à la relancer en contactant la famille qui n'était pas au courant. Par l'éducateur du quartier, Farid apprend qu'elle est chez elle, mais ne donne pas de nouvelles.
En fait, elle reviendra voir Farid six mois plus tard.
Questionnée sur son absence au stage et son silence, elle cherche à se justifier : « Je suis partie en Espagne pour chercher du travail. »
Lorsque Farid poursuit l'interrogation, il comprend bien, à travers ses hésitations, qu'elle invente des histoires. Il lui fait gentiment la morale et lui montrant que si elle peut à la limite tenir une telle attitude face à lui, il lui sera impossible de le faire face à un employeur.
A ce moment, Farid set bien qu'elle est fragile, qu'elle se sait en tort. Il cherche à la relancer en tirant profit du fait qu'elle est malgré tout revenue le voir à la mission locale.
Ce qui le frappe aussi, c'est que son problème dentaire s'est aggravé, il cherche à faire le bilan de sa situation vis-à-vis de la Sécurité Sociale. Sabrina n'a pas résolu ses problèmes de papier :
Farid n'ose pas attaquer frontalement la question de son état dentaire, il lui conseille d'abord de s'inscrire à l'ANPE pour bénéficier des droits afférents : la carte de bus, les prestations ANPE.
Sabrina suivra ses conseils, mais avec un temps de retard comme s'il lui fallait de la maturation pour se mettre dans la peau de ce personnage qui part à la recherche d'un emploi.
Elle considérait la santé comme un périphérique, l'emploi, c'était la priorité »
A ce moment, Farid mesure que la question de son inscription à la Sécurité Sociale devient prioritaire, notamment pour régler le problème dentaire. Farid téléphone devant elle à une personne de la caisse primaire d'assurance maladie et prend un rendez-vous pour elle.
Lorsqu'elle revient à la mission locale, elle exprime le désir de suivre un stage.
Le jour de l'information collective sur les stages, Farid est présent et constate que Sabrina est présente, sa tenue n'a pas changé, son état dentaire non plus, mais les rendez-vous ont bien été pris.
Lors du stage de six mois, elle doit trouver une entreprise d'accueil. Les formateurs contactent pour elle un restaurant avec lequel ils ont l'habitude de travailler. Un des obstacles principaux qu'elle peut contracter est non seulement sa présentation mais aussi sa manière de parler.
Lors de la période des cours, elle avait « des problèmes de comportement » qui lui ont valu un avertissement :
Les formateurs ont alors négocié avec le restaurateur pour qu'il la mette « en cuisine » et non dans la salle.
Ce premier stage s'est, selon elle, bien passé. Elle regrettait de ne pas avoir fait « du service ».
L'avis de l'employeur est différent :

A la suite du bilan du stage, Farid profite du sentiment de frustration de Sabrina de ne pas avoir pu travailler en « salle » pour l'amener à faire un travail sur elle même.
C'est une entreprise délicate : il ne faut pas la froisser et en même temps la convaincre que c'est la condition pour accéder aux activités qui impliquent un contact avec le public, c'est-à-dire quitter « les coulisses » pour entrer sur la « scène de l'espace public ».
Elle effectue son deuxième stage en entreprise, elle fait l'entretien des chambres, de l'aide en cuisine et de la plonge.
Si « ça se passe apparemment bien pour elle », le constat du second employeur est le même : il insiste sur le manque de motivation, d'intérêt au travail.
Lors du bilan final, les formateurs trouvent que son comportement s'est un petit peu amélioré mais ne valident pas le projet.
Farid lui propose de continuer en préqualification pour quatre mois. Durant cette période, elle travaille chez un restaurateur pour y faire du service mais aussi et surtout de l'entretien.
Ce qui va caractériser cette période, ce sont ces retards et certaines absences. Elle est agressive avec les formateurs, elle déclare qu'elle veut arrêter, que ces stages ne débouchent sur rien.
Ainsi, elle disparaît pendant quatre mois avant de revenir à la mission locale. Farid constate que la nature de sa relation change, elle éprouve le besoin de se confier de manière personnelle :
Elle me parle de sa soeur qui est décédée, les larmes aux yeux viennent tout de suite. »
Sabrina va revenir plusieurs fois à la mission locale, Farid va lui faire comprendre qu'il ne peut pas la recevoir longtemps, qu'il a aussi un travail, mais il s'efforcera de toujours l'accueillir afin de maintenir le contact.
Lors des stages avec des employeurs, le contact passe bien avec l'un d'entre eux, gérant d'une chaîne d'hôtel à bon marché.
Suite aux conseils de Farid, elle lui propose de faire un stage de neuf mois en insistant sur le fait qu'elle veut rompre avec l'école.
A la suite de cette demande, l'employeur demande à Farid une réunion pour discuter des possibilités d'insertion de Sabrina :
J'ai dit à Sabrina : « si tu as un problème avec une salariée, tu ne règles pas ton problème, tu viens me voir. On le règle ensemble. Si tu règles toi-même ton problème, c'est à moi que tu auras à faire. Donc je fixe un peu les choses au départ, après il faudra qu'elle règle par elle-même ses problèmes. »
De plus, il a non seulement des règles mais aussi une méthode, qui est propre à son entreprise : c'est made and training (faire puis entraîner).
Il fait une démonstration, pour l'exemple, elle fait derrière, ça va pas, il lui refait, il fait preuve de patience, il refait la démonstration. Il lui explique des petites choses : « il y a des petits entretiens à faire, changer une lampe dans une chambre lorsqu'elle est grillée », il lui donne des perspectives : « Tu vas passer à d'autres tâches, le service, t'occuper également de la gestion de l'accueil ». Mais il ne lui donne pas ces responsabilités, il veut vérifier qu'elle puisse atteindre le premier niveau (agent employé des chambres).
Sabrina devient très ponctuelle à son travail, elle a de bonnes relations avec les autres, elle accepte les remarques de l'employeur.
Au cours de ces mois, Farid remarque avec satisfaction les transformations de l'apparence physique, à la fois induites par son intégration réussie et permises par son sentiment de bien être :
Elle accepte toutes ces remarques. Physiquement, elle laisse pousser ses cheveux, elle met un peu de maquillage, des boucles d'oreilles. Au bout de quatre mois, l'employeur lui offre la possibilité de devenir un jour « adjointe » en CDI.
Il est vrai qu'au fil du temps, il a demandé une formation en informatique pour pouvoir se servir du logiciel spécifique de l'entreprise qui permet de gérer les réservations, de saisir certaines factures.
Sabrina commence à voir des applications concrètes des maths par exemple. Le fait qu'elle puisse avoir un CDI, même dans son discours, la change :
Dernier signe important de sa transformation physique et morale : elle travaille dorénavant en jupe.
Elle a tenu à remercier Farid pour l'aide qu'il lui a constamment prodiguée. Elle ne le remercie pas en tête-à-tête, mais -procédure inhabituelle chez elle- en lui écrivant une lettre.
Elle a pris le temps de soigner son écriture à la différence des classeurs de stage où rien n'était soigné.
Aux dernières nouvelles, elle a bien décroché un CDI et a suivi sur la Côte d'Azur son patron qui a pris, avec sa femme, un hôtel en gérance.
D'après Stéphane BEAUD, article paru dans le numéro 80 de la revue Travail et Emploi, septembre 1999
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