5 décembre 2006
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Je voudrais évoquer les taux d'intérêt mais d'une manière un peu différente.
En effet, il s'agit de rendre hommage à un économiste, des artistes-peintres qui permettent de comprendre notre humaine condition.
Commencons par le taux d'intérêt.
C'est une notion essentielle en économie. Mais elle est souvent difficile à faire comprendre. Essayons donc de comprendre les enjeux.
Le taux d'intérêt qu'on peut définir comme le prix du capital a deux facettes en économie:
- il est un coût pour celui qui va emprunter des capitaux: je paye pour avoir immédiatement des liquidités disponibles.
- c'est un revenu pour l'épargnant ou celui qui a prêté ses capitaux: je suis payé parce que j'ai été vertueux. En effet, j'ai renoncé au plaisir immédiat (la consommation) en accumulant des liquidités (autrement dit j'ai été vertueux).
C'est la conception des économistes classiques.
Pour ces économistes, nous sommes des acteurs rationnels : des " homo économicus" qui passent leur vie à faire des choix en comparant les coûts et avantages de chaque action.
Ainsi, on peut dire que lorsque le taux d'intérêt augmente:
- on est satisfait si on est épargnant: l'épargne est mieux rémunérée.
- on est déçu si on est emprunteur: le prix du capital s'élève, donc emprunter devient plus coûteux.
Lorsque l'offre de capitaux sera égale à la demande, le taux d'intérêt d'équilibre permettra de satisfaire tous ceux qui veulent emprunter à ce taux et tous ceux qui veulent épargner. Tout est bien dans le meilleur des mondes...
Mais serions-nous des êtres aussi rationnels ? Le capitalisme serait-il un système valorisant les plus vertueux (les épargnants qui ont accumulé) ?
John Maynard Keynes voir ici (économiste britannique 1883-1946) va révolutionner cette façon de penser. Et de quelle manière !

Pour lui, le taux d'intérêt est le prix d'une angoisse ou d'une incertitude collective.
La société accorde un prix à sa peur de l'avenir. Le taux d'intérêt est un indice de la peur:
J'avais étudié cet aspect un peu méconnu lors du passage à l'euro. Diverses enquêtes montraient que plus on est âgé, plus la somme d'argent en liquide détenue était élevée. La liquidité est donc un moyen d'apaiser notre angoisse face à l'avenir, face à la mort.
Pour lui, le taux d'intérêt est la rémunération de la renonciation à la liquidité (celui qui ne prête pas peut rester liquide = détenir de la richesse en monnaie).
Keynes rejette l'approche de l'épargne vertueuse des économistes classiques.

Keynes va montrer que la crise de 1929 s'explique par un désir morbide d'accumulation de valeur (à travers la demande d'actions et la hausse des valeurs boursières).
Les économistes dominants de l'époque expliquaient, en pleine dépression, qu'il fallait que l'Etat veille à l'équilibre budgétaire donc à ne pas dépenser.
Cette peur de dépenser est à l'orgine de la suraccumulation.
D'ailleurs, les banques favorisèrent également cette obsession de l'épargne. Ce faisant, par leurs comportements, ces acteurs aggravèrent la crise qui se transforma en Grande Dépression.
Autre changement radical: Keynes remet en cause le postulat de la rationalité "économique des acteurs" (vous vous rappelez de l'Homo économicus).
Le spéculateur est un homo économicus angoissé. Il se raccroche à la liquidité, à la possession d'argent, qui est un moyen, illusoire, de dominer le temps.
Les spéculateurs ont des comportements de mimétisme: ils essayent de deviner ce que l'autre va faire.
Conséquence: ils creusent eux-mêmes leur tombe. En effet, avec ces calculs, ils vendent lorsque les cours baissent, ce qui accentue la crise. Lorsque les cours augmentent ? Ils anticipent de nouvelles hausses, donc ils achètent, ce qui contribue à alimenter la bulle spéculative.
Aujourd'hui, les fonds de pension (qui gèrent l'épargne des retraités américains), les obsédés du CAC40 donnent le sentiment de rechercher le profit à court terme ( une tentative illusoire de vouloir maîtriser le temps ) sans se demander si leurs stratégies ne conduit pas à détruire elle-même l'appareil économique qui a permis de produire ces richesses économiques.
Ne sont-ils pas en train de jouer la poule aux oeufs d'or ?
la fable de la poule aux oeufs d'or (Jean de la Fontaine d'après Esope)

Cela fait un mois que j'ai acheté l'Anti-Manuel d'économie de Bernard Maris (édition Bréal).
C'est un excellent livre qui possède énormément de qualités: l'article que vous venez de lire s'inspire sur le fond et la forme d'un des passages du livre.
Il pose bien les enjeux concrets et théoriques (sur le capitalisme, l'innovation, l'argent, l'écologie...).
Les textes littéraires (des poétes, des romanciers, des philosophes contemporains...) viennent illustrer des raisonnements économiques.
Il ne se cantonne pas à une science économique qui expliquerait la totalité de nos comportements, il utilise l'apport d'autres disciplines. En plus, il ne manque pas d'humour.
Vraiment, vous pouvez vous y plonger, même si à priori l'économie vous rebute un peu. Voir ici l'interview de l'auteur
Inutile de vous dire que je l'ai dévoré.
En effet, il s'agit de rendre hommage à un économiste, des artistes-peintres qui permettent de comprendre notre humaine condition.
Commencons par le taux d'intérêt.
C'est une notion essentielle en économie. Mais elle est souvent difficile à faire comprendre. Essayons donc de comprendre les enjeux.
Le taux d'intérêt qu'on peut définir comme le prix du capital a deux facettes en économie:
- il est un coût pour celui qui va emprunter des capitaux: je paye pour avoir immédiatement des liquidités disponibles.
- c'est un revenu pour l'épargnant ou celui qui a prêté ses capitaux: je suis payé parce que j'ai été vertueux. En effet, j'ai renoncé au plaisir immédiat (la consommation) en accumulant des liquidités (autrement dit j'ai été vertueux).

C'est la conception des économistes classiques.
Pour ces économistes, nous sommes des acteurs rationnels : des " homo économicus" qui passent leur vie à faire des choix en comparant les coûts et avantages de chaque action.
Ainsi, on peut dire que lorsque le taux d'intérêt augmente:
- on est satisfait si on est épargnant: l'épargne est mieux rémunérée.
- on est déçu si on est emprunteur: le prix du capital s'élève, donc emprunter devient plus coûteux.
Lorsque l'offre de capitaux sera égale à la demande, le taux d'intérêt d'équilibre permettra de satisfaire tous ceux qui veulent emprunter à ce taux et tous ceux qui veulent épargner. Tout est bien dans le meilleur des mondes...
Mais serions-nous des êtres aussi rationnels ? Le capitalisme serait-il un système valorisant les plus vertueux (les épargnants qui ont accumulé) ?
John Maynard Keynes voir ici (économiste britannique 1883-1946) va révolutionner cette façon de penser. Et de quelle manière !

Pour lui, le taux d'intérêt est le prix d'une angoisse ou d'une incertitude collective.
La société accorde un prix à sa peur de l'avenir. Le taux d'intérêt est un indice de la peur:
"la possession de monnaie réelle apaise notre inquiétude; et la prime que nous requérons pour nous faire séparer de la monnaie est la mesure de notre degré d'inquiétude" J.M. Keynes (Théorie Générale, 1936)
J'avais étudié cet aspect un peu méconnu lors du passage à l'euro. Diverses enquêtes montraient que plus on est âgé, plus la somme d'argent en liquide détenue était élevée. La liquidité est donc un moyen d'apaiser notre angoisse face à l'avenir, face à la mort.
Pour lui, le taux d'intérêt est la rémunération de la renonciation à la liquidité (celui qui ne prête pas peut rester liquide = détenir de la richesse en monnaie).
Keynes rejette l'approche de l'épargne vertueuse des économistes classiques.
« Un acte d'épargne individuelle signifie - pour ainsi dire - une décision de ne pas dîner aujourd'hui. Mais il n'implique pas nécessairement une décision de commander un dîner ou une paire de chaussures une semaine ou une année plus tard, ou de consommer un article déterminé à une date déterminée.
Il déprime donc l'activité consistant à préparer le dîner d'aujourd'hui sans stimuler une activité pourvoyant à quelque acte futur de consommation. » (Théorie générale,1936)
Il déprime donc l'activité consistant à préparer le dîner d'aujourd'hui sans stimuler une activité pourvoyant à quelque acte futur de consommation. » (Théorie générale,1936)

Keynes va montrer que la crise de 1929 s'explique par un désir morbide d'accumulation de valeur (à travers la demande d'actions et la hausse des valeurs boursières).
Les économistes dominants de l'époque expliquaient, en pleine dépression, qu'il fallait que l'Etat veille à l'équilibre budgétaire donc à ne pas dépenser.
Cette peur de dépenser est à l'orgine de la suraccumulation.
D'ailleurs, les banques favorisèrent également cette obsession de l'épargne. Ce faisant, par leurs comportements, ces acteurs aggravèrent la crise qui se transforma en Grande Dépression.
Autre changement radical: Keynes remet en cause le postulat de la rationalité "économique des acteurs" (vous vous rappelez de l'Homo économicus).
Le spéculateur est un homo économicus angoissé. Il se raccroche à la liquidité, à la possession d'argent, qui est un moyen, illusoire, de dominer le temps.
Les spéculateurs ont des comportements de mimétisme: ils essayent de deviner ce que l'autre va faire.
Conséquence: ils creusent eux-mêmes leur tombe. En effet, avec ces calculs, ils vendent lorsque les cours baissent, ce qui accentue la crise. Lorsque les cours augmentent ? Ils anticipent de nouvelles hausses, donc ils achètent, ce qui contribue à alimenter la bulle spéculative.
Aujourd'hui, les fonds de pension (qui gèrent l'épargne des retraités américains), les obsédés du CAC40 donnent le sentiment de rechercher le profit à court terme ( une tentative illusoire de vouloir maîtriser le temps ) sans se demander si leurs stratégies ne conduit pas à détruire elle-même l'appareil économique qui a permis de produire ces richesses économiques.
Ne sont-ils pas en train de jouer la poule aux oeufs d'or ?
la fable de la poule aux oeufs d'or (Jean de la Fontaine d'après Esope)
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?


C'est un excellent livre qui possède énormément de qualités: l'article que vous venez de lire s'inspire sur le fond et la forme d'un des passages du livre.
Il pose bien les enjeux concrets et théoriques (sur le capitalisme, l'innovation, l'argent, l'écologie...).
Les textes littéraires (des poétes, des romanciers, des philosophes contemporains...) viennent illustrer des raisonnements économiques.
Il ne se cantonne pas à une science économique qui expliquerait la totalité de nos comportements, il utilise l'apport d'autres disciplines. En plus, il ne manque pas d'humour.
Vraiment, vous pouvez vous y plonger, même si à priori l'économie vous rebute un peu. Voir ici l'interview de l'auteur
Inutile de vous dire que je l'ai dévoré.
Et vous, avez-vous une préférence pour la liquidité ?
Avez-vous, ces derniers temps, des livres qui vous ont marqué ? Pourquoi ?
Avez-vous, ces derniers temps, des livres qui vous ont marqué ? Pourquoi ?