27 janvier 2007
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Ce week end, c'est le MIDEM à Cannes. L'occasion de réfléchir aux profondes mutations qui se jouent dans le secteur des industries culturelles, notamment avec le téléchargement et le peer to peer.
Loin de moi l'idée de vouloir traiter ce sujet complexe et passionnant en un seul billet. Il s'agit de donner quelques repères, qui seront sûrement discutés et discutables...
Je rappelle (pour les Anciens ou ceux qui vivent sur une autre planète) le principe: je met sur le réseau (mondial) des fichiers (audio, vidéo, textes...), d'autres pourront les télécharger gratuitement. Entre les internautes, c'est un jeu gagnant - gagnant: celui qui fait passer un morceau ne perd pas, il est même gagnant car il a lui aussi accès à tous les autres fichiers partagés. Les avantages sont certes liés à la gratuité, mais pas seulement: je peux écouter plus facilement d'autres styles musicaux... Un autre intérêt est la découverte de nouveaux talents (qui ont mis leurs oeuvres gratuitement sur le réseau)...
Evidemment, les producteurs, les marchands sont très hostiles à ce nouveau système de diffusion: ils perdent la main-mise sur ce marché. Leur argumentation est basée sur le principe simple: le peer-to-peer = gratuit = pas d'argent pour la création...Ils vont donc tenter de mettre des "barrières" pour continuer de contrôler le marché. Les verrous sur les CD pour interdire la copie, le manque d'interopérabilité (impossibilité d'écouter un CD ailleurs que sur le stockeur approprié, par exemple, impossible de lire certains CD dans sa voiture alors qu'il était lisible sur une chaine hi-fi), les DRM qui sont des marqueurs qui suivent les téléchargements sur internet et qui vont fouiner dans les disques durs.

On a donc un jeu à trois: les créateurs (dont certains sont très favorables au téléchargement cf l'appel lancé dans le Nouvel Obs en février 2005 "Libérez la musique"), le public et entre les deux, des intermédiaires-marchands: producteurs, maisons de disques - 93 % du marché sont aux mains de 4 grands groupes-, distributeurs, grands magasins type FNAC ou Virgin.
La question qui pose problème est celle du financement de ce secteur. Dans le modèle traditionnel, les intermédiaires organisaient la rareté pour que le public paye pour accéder aux oeuvres. Dans le coût de fabrication d'un CD, le créateur ne reçoit en moyenne que 5 à 10 % du prix de vente, plus de 30 % sont des frais de distribution...
Avec l'arrivée du numérique et du peer-to-peer, tout change: les copies se transforment en clone (la qualité d'un mp3 ne s'altère pas lorsqu'on multiplie les copies), le public et les artistes peuvent se passer de plus en plus des intermédiaires grâce à la baisse des coûts (de diffusion et d'enregistrement), ceux qui donne "le la" ne sont plus les professionnels de la musique, mais les innovations technologiques de l'industrie informatique (on peut penser à Steve Jobs avec itunes, ipod et maintenant iphone), ce qui accentue la perte de pouvoir des intermédiaires traditionnels.
le marché du disque
Alors quand la litanie des chiffres des ventes de disques tombe, la colère des intermédiaires gronde, réclamant toujours plus de sanction contre les dangereux pirates qui mettent en danger la création culturelle...
Quels contre-arguments peut-on apporter ?
- la création sera-t-elle encouragée en empêchant le peer-to-peer et la gratuité ?
L'invention de la radio a-t-elle fait disparaitre l'industrie du disque et des spectacles (on pourrait reprendre les mêmes arguments), le magnétoscope a-t-il tué le cinéma etc...
- mais alors, comment financer la création si tout est gratuit ? Là encore, il y a plusieurs éléments de réponse.
- le gratuit, ça rapporte !
Hé oui, la fondation Mozilla, qui propose le navigateur gratuit firefox (concurrent d'Internet Explorer) a annoncé un chiffre d'affaires global de 45.5 millions d'euros en 2005 (contre seulement 4.46 en 2004 !). Comment est-ce possible ??? C'est un mécanisme économique qui commence à être connu. Il repose sur l'économie de réseau: un navigateur, un logiciel n'a d'utilité que s'il existe un réseau. j'ai peu d'intérêt à avoir un téléphone portable si quelques personnes en possèdent un; c'est beaucoup plus intéressant si des millions de personnes sont équipées: le raisonnement s'applique aussi à XP, Vista, Office, Firefox...leur large diffusion démultiplie leur utilité et permet d'amortir plus facilement les coûts de distribution. Les communicants engendrent alors d'autres communicants. L'économie de réseau fonctionne à coûts décroissants: plus elle s'agrandit, moins elle coûte, plus elle rapporte. En effet, elle rapporte par les liens sponsorisés sur les sites (regardez vous verrez ces liens fleurir dans les années qui viennent sur You Tube, sur les blogs etc...). Elle rapporte parce que le réseau favorise le bouche à oreille: ce qui compte pour vendre un livre, un CD sur un site comme Amazon, ce sont les avis, critiques et forum de discussion qui ont pour fonction de réduire l'incertitude de chacun sur l'intérêt d'acheter ou non les oeuvres proposées.
- on peut trouver des recettes ailleurs. Une des artistes les plus piratées est Madonna (avec son dernier album). Or il se trouve que c'est également une des artistes les mieux payées au monde ! Ses albums se vendent, ses singles aussi, et elle réussit à multplier les produits dérivés (on pense notamment aux sonneries de portables etc...). On a déjà des taxes sur les CD et DVD vierges...
Je voudrais terminer ce (trop) long billet par quelques perspectives d'avenir: je crois que c'est cette semaine que Kodak a annoncé la fermeture d'un labo de recherche dans l'argentique... Kodak n'a pas su anticiper l'avenir, le numérique, qui, comme avec le peer-to-peer, change la donne économique. J'ai déjà montré dans d'autres billets que la révolution que nous sommes en train de vivre touche l'éducation, la politique... elle participe à un mouvement plus vaste de décentralisation et de démocratisation (de l'information, de la culture, du savoir...)qui n'est pas sans posé des problèmes mais qui offre aussi de nouvelles potentialités. Nous sommes juste dans une phase intermédiaire...
Voici des extraits de Libération du samedi 27 janvier 2007

Loin de moi l'idée de vouloir traiter ce sujet complexe et passionnant en un seul billet. Il s'agit de donner quelques repères, qui seront sûrement discutés et discutables...
Je rappelle (pour les Anciens ou ceux qui vivent sur une autre planète) le principe: je met sur le réseau (mondial) des fichiers (audio, vidéo, textes...), d'autres pourront les télécharger gratuitement. Entre les internautes, c'est un jeu gagnant - gagnant: celui qui fait passer un morceau ne perd pas, il est même gagnant car il a lui aussi accès à tous les autres fichiers partagés. Les avantages sont certes liés à la gratuité, mais pas seulement: je peux écouter plus facilement d'autres styles musicaux... Un autre intérêt est la découverte de nouveaux talents (qui ont mis leurs oeuvres gratuitement sur le réseau)...
Evidemment, les producteurs, les marchands sont très hostiles à ce nouveau système de diffusion: ils perdent la main-mise sur ce marché. Leur argumentation est basée sur le principe simple: le peer-to-peer = gratuit = pas d'argent pour la création...Ils vont donc tenter de mettre des "barrières" pour continuer de contrôler le marché. Les verrous sur les CD pour interdire la copie, le manque d'interopérabilité (impossibilité d'écouter un CD ailleurs que sur le stockeur approprié, par exemple, impossible de lire certains CD dans sa voiture alors qu'il était lisible sur une chaine hi-fi), les DRM qui sont des marqueurs qui suivent les téléchargements sur internet et qui vont fouiner dans les disques durs.

On a donc un jeu à trois: les créateurs (dont certains sont très favorables au téléchargement cf l'appel lancé dans le Nouvel Obs en février 2005 "Libérez la musique"), le public et entre les deux, des intermédiaires-marchands: producteurs, maisons de disques - 93 % du marché sont aux mains de 4 grands groupes-, distributeurs, grands magasins type FNAC ou Virgin.
La question qui pose problème est celle du financement de ce secteur. Dans le modèle traditionnel, les intermédiaires organisaient la rareté pour que le public paye pour accéder aux oeuvres. Dans le coût de fabrication d'un CD, le créateur ne reçoit en moyenne que 5 à 10 % du prix de vente, plus de 30 % sont des frais de distribution...
Avec l'arrivée du numérique et du peer-to-peer, tout change: les copies se transforment en clone (la qualité d'un mp3 ne s'altère pas lorsqu'on multiplie les copies), le public et les artistes peuvent se passer de plus en plus des intermédiaires grâce à la baisse des coûts (de diffusion et d'enregistrement), ceux qui donne "le la" ne sont plus les professionnels de la musique, mais les innovations technologiques de l'industrie informatique (on peut penser à Steve Jobs avec itunes, ipod et maintenant iphone), ce qui accentue la perte de pouvoir des intermédiaires traditionnels.
le marché du disque

Le marché du disque en France a continué à régresser en 2006 pour la quatrième année consécutive. Avec une baisse de 10,7 % en valeur (chiffre d'affaires, prix de gros éditeur) et de 26,6 % en volume (nombre d'unités vendues) par rapport à l'exercice 2005, l'heure est à la mobilisation générale. (le Monde du 22 janvier 2007)
Quels contre-arguments peut-on apporter ?
- la création sera-t-elle encouragée en empêchant le peer-to-peer et la gratuité ?
L'invention de la radio a-t-elle fait disparaitre l'industrie du disque et des spectacles (on pourrait reprendre les mêmes arguments), le magnétoscope a-t-il tué le cinéma etc...
- mais alors, comment financer la création si tout est gratuit ? Là encore, il y a plusieurs éléments de réponse.
- le gratuit, ça rapporte !
Hé oui, la fondation Mozilla, qui propose le navigateur gratuit firefox (concurrent d'Internet Explorer) a annoncé un chiffre d'affaires global de 45.5 millions d'euros en 2005 (contre seulement 4.46 en 2004 !). Comment est-ce possible ??? C'est un mécanisme économique qui commence à être connu. Il repose sur l'économie de réseau: un navigateur, un logiciel n'a d'utilité que s'il existe un réseau. j'ai peu d'intérêt à avoir un téléphone portable si quelques personnes en possèdent un; c'est beaucoup plus intéressant si des millions de personnes sont équipées: le raisonnement s'applique aussi à XP, Vista, Office, Firefox...leur large diffusion démultiplie leur utilité et permet d'amortir plus facilement les coûts de distribution. Les communicants engendrent alors d'autres communicants. L'économie de réseau fonctionne à coûts décroissants: plus elle s'agrandit, moins elle coûte, plus elle rapporte. En effet, elle rapporte par les liens sponsorisés sur les sites (regardez vous verrez ces liens fleurir dans les années qui viennent sur You Tube, sur les blogs etc...). Elle rapporte parce que le réseau favorise le bouche à oreille: ce qui compte pour vendre un livre, un CD sur un site comme Amazon, ce sont les avis, critiques et forum de discussion qui ont pour fonction de réduire l'incertitude de chacun sur l'intérêt d'acheter ou non les oeuvres proposées.
- on peut trouver des recettes ailleurs. Une des artistes les plus piratées est Madonna (avec son dernier album). Or il se trouve que c'est également une des artistes les mieux payées au monde ! Ses albums se vendent, ses singles aussi, et elle réussit à multplier les produits dérivés (on pense notamment aux sonneries de portables etc...). On a déjà des taxes sur les CD et DVD vierges...
Je voudrais terminer ce (trop) long billet par quelques perspectives d'avenir: je crois que c'est cette semaine que Kodak a annoncé la fermeture d'un labo de recherche dans l'argentique... Kodak n'a pas su anticiper l'avenir, le numérique, qui, comme avec le peer-to-peer, change la donne économique. J'ai déjà montré dans d'autres billets que la révolution que nous sommes en train de vivre touche l'éducation, la politique... elle participe à un mouvement plus vaste de décentralisation et de démocratisation (de l'information, de la culture, du savoir...)qui n'est pas sans posé des problèmes mais qui offre aussi de nouvelles potentialités. Nous sommes juste dans une phase intermédiaire...
Voici des extraits de Libération du samedi 27 janvier 2007
Chris Anderson, économiste, pronostique la fin des poids lourds de l'industrie musicale :
C'est le triomphe des niches, small is beautiful ?
Nous assistons à l'effondrement final du système traditionnel avec un transfert du pouvoir, déjà entamé, vers les créateurs et les consommateurs.
Sur le Net, il n'y a plus une seule cible, un public, vous pouvez vous intéresser à tous les goûts des consommateurs et de milliers de microcommunautés. Je me fous du top 50, vu que je peux satisfaire toute ma curiosité en découvrant des milliers de titres de fond de catalogue auxquels je n'avais plus accès depuis longtemps dans les magasins.
Est-ce à dire qu'il n'y aura plus de Madonna ou de Beyoncé ?
Non, mais la part relative de ces poids lourds de l'industrie musicale ne va cesser de baisser. Plutôt que d'avoir quelques très gros morceaux à 10 millions d'exemplaires écrasant tout le secteur et dictant la loi des majors, on va avoir quelques très beaux succès à deux millions d'exemplaires et des dizaines de milliers d'artistes à quelques centaines d'exemplaires ou même moins.
Je leur conseillerais de signer bien plus d'artistes et de passer directement au top 2000 ! L'ennemi, ce n'est pas ce que l'on appelle la piraterie, qui est un terme inapproprié puisque la fréquentation des réseaux P2P n'a rien de criminelle, c'est la volonté de faire perdurer un modèle qui n'a plus aucun sens à l'ère de la profusion numérique...
Le fait que les indépendants s'en tirent aujourd'hui mieux outre-Atlantique que les majors montre que l'Internet est un véritable vecteur de diversité musicale.
Ces derniers peuvent-ils réellement s'affranchir des maisons de disques ?
Techniquement parlant, les artistes n'ont plus besoin de maisons de
disques, oui. Ni pour se produire ni pour se faire connaître, comme l'illustre la puissance colossale du bouche à oreille en ligne. Ils peuvent également trouver des voies de distribution alternatives sur le Net, et demain de nouvelles sources de financement comme la publicité. Si elle veut survivre, l'industrie musicale doit s'adapter et proposer de vrais services en arrêtant de se positionner comme un vendeur d'enregistrements. Elle doit arrêter de prendre les consommateurs pour des pirates doublés d'idiots prêts à se laisser séduire par leur marketing d'un autre âge.
«Un effondrement du système traditionnel»
Par Christophe ALIX
Vous soutenez que la distribution numérique des produits culturels permettra d'en vendre plus, mais dans des quantités moindres. Qu'est-ce que cela signifie ?
Le monde de la musique physique, qui est celui d'une consommation de masse standardisée, est caractérisé par la rareté des canaux de diffusion (radios et télévision essentiellement) et l'espace forcément limité des points de vente. D'où la nécessité de se concentrer sur les goûts les plus évidents, les plus communs du public, autrement dit les blockbusters et le top 50.
En donnant accès à un espace illimité, accessible depuis n'importe quel point la planète, l'Internet a mis à terre cet ancien modèle. Dans la musique comme dans le reste des industries culturelles, la migration vers le numérique signifie qu'il y a désormais la place pour un choix infini et donc une demande illimitée.
En donnant accès à un espace illimité, accessible depuis n'importe quel point la planète, l'Internet a mis à terre cet ancien modèle. Dans la musique comme dans le reste des industries culturelles, la migration vers le numérique signifie qu'il y a désormais la place pour un choix infini et donc une demande illimitée.
C'est le triomphe des niches, small is beautiful ?
Nous assistons à l'effondrement final du système traditionnel avec un transfert du pouvoir, déjà entamé, vers les créateurs et les consommateurs.
Sur le Net, il n'y a plus une seule cible, un public, vous pouvez vous intéresser à tous les goûts des consommateurs et de milliers de microcommunautés. Je me fous du top 50, vu que je peux satisfaire toute ma curiosité en découvrant des milliers de titres de fond de catalogue auxquels je n'avais plus accès depuis longtemps dans les magasins.
Est-ce à dire qu'il n'y aura plus de Madonna ou de Beyoncé ?
Non, mais la part relative de ces poids lourds de l'industrie musicale ne va cesser de baisser. Plutôt que d'avoir quelques très gros morceaux à 10 millions d'exemplaires écrasant tout le secteur et dictant la loi des majors, on va avoir quelques très beaux succès à deux millions d'exemplaires et des dizaines de milliers d'artistes à quelques centaines d'exemplaires ou même moins.
Que conseilleriez-vous aux majors ?
Je leur conseillerais de signer bien plus d'artistes et de passer directement au top 2000 ! L'ennemi, ce n'est pas ce que l'on appelle la piraterie, qui est un terme inapproprié puisque la fréquentation des réseaux P2P n'a rien de criminelle, c'est la volonté de faire perdurer un modèle qui n'a plus aucun sens à l'ère de la profusion numérique...
Le fait que les indépendants s'en tirent aujourd'hui mieux outre-Atlantique que les majors montre que l'Internet est un véritable vecteur de diversité musicale.
Ces derniers peuvent-ils réellement s'affranchir des maisons de disques ?
Techniquement parlant, les artistes n'ont plus besoin de maisons de
disques, oui. Ni pour se produire ni pour se faire connaître, comme l'illustre la puissance colossale du bouche à oreille en ligne. Ils peuvent également trouver des voies de distribution alternatives sur le Net, et demain de nouvelles sources de financement comme la publicité. Si elle veut survivre, l'industrie musicale doit s'adapter et proposer de vrais services en arrêtant de se positionner comme un vendeur d'enregistrements. Elle doit arrêter de prendre les consommateurs pour des pirates doublés d'idiots prêts à se laisser séduire par leur marketing d'un autre âge.

"On copie, on copie...Et un jour on fait une oeuvre" Pablo Picasso