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10 février 2007 6 10 /02 /février /2007 11:37
Voici l'interwiew du sociologue Serge Paugam au journal Le Monde (édition du 9 février 2007 source ici) qui me paraît être très pertinent lorsqu'on aborde le lien social.


"Un sociologue fait d'autant plus de politique qu'il croit ne pas en faire", ironisait Pierre Bourdieu. De votre côté, comment voyez-vous les rapports entre travail scientifique, critique sociale et action politique ?

Même s'il s'efforce de présenter les faits de façon objective, les interprétations du sociologue ne sont pas neutres. Il a lui aussi des préférences et il ne peut échapper à la lecture sociale et politique qui sera faite de ses travaux. Il est donc préférable, comme le suggérait Raymond Aron, d'assumer pleinement le fait que l'interprétation sociologique est objective dans la mesure où elle est "compréhensive", et que cette compréhension n'est pas neutre par rapport aux idéologies des partis politiques, bien qu'elle ne se confonde avec aucune d'elles. En ce sens, le sociologue ne peut rester dans sa tour d'ivoire. (...)

affiche de 1973, lié au conflit lip (étudié en classe)

Vous situez votre livre dans le sillage de Durkheim, qui définissait les sociologues comme des "conseilleurs" ayant mission de fonder les solidarités collectives. Pensez-vous qu'une telle parole puisse encore trouver l'oreille des politiques ?

Durkheim disait en effet que "nous sommes faits pour aider nos contemporains à se reconnaître dans leurs idées et dans leurs sentiments beaucoup plus que les gouverner". Il assignait à la sociologie naissante un rôle éducatif. Par ailleurs, il soulignait que la solidarité des sociétés modernes, de nature "organique", fondée sur l'interdépendance des individus, était fragile. Aujourd'hui, comment ne pas être inquiet face au risque de délitement de nos solidarités ? L'attitude des politiques est souvent d'occulter les enjeux qui gênent. Ainsi des inégalités entre générations : comment envisager une politique de redistribution en direction des jeunes, quand les retraités sont plutôt favorables à une diminution des impôts ? De même il peut être tentant pour les politiques d'aborder exclusivement la question de la solidarité en référence à la sphère de l'assistance - et de poser ainsi la question de son "coût" - plutôt que d'envisager des réformes pour mieux prendre en charge les risques liés aux nouvelles inégalités, aussi bien sur le marché du travail que dans le domaine du logement ou dans celui de l'aménagement urbain.

Les actions d'urgence, au titre de ce qu'on appelle aujourd'hui les dépenses de solidarité, sont médiatiques, mais elles dissimulent souvent les vrais problèmes. Toutefois, l'inquiétude des chercheurs face à cette dérive du sens de la solidarité est partagée par de nombreux citoyens. Du coup, les politiques ne peuvent pas ne pas entendre ce besoin profond de parler de la solidarité, au sens du renforcement de l'interdépendance des individus et du contrat social.

 affiche de la CGT isère vers 1950-1960 (?), déjà des atteintes à la Sécurité Sociale !


Les auteurs partagent un même attachement au compromis social
de la Libération, lequel visait, dites-vous, à "faire des individus autre chose qu'une marchandise échangeable". A lire certaines contributions, on se dit que les bases intellectuelles de ce fameux Etat "instituteur du social" sont pour le moins érodées...

Le risque d'une "remarchandisation" est réel. La séparation entre les populations qui relèvent de l'assurance et celles qui relèvent de l'assistance est très marquée. La part prise par les organismes privés dans la gestion de la protection sociale devient de plus en plus importante. Les assurances sociales obligatoires sont moins collectives, moins redistributives et moins généreuses. Par ailleurs, on culpabilise les pauvres qui ne trouvent pas d'emploi. La socialisation du risque, qui avait ainsi pris le pas sur la notion de responsabilité individuelle, apparaît aujourd'hui en recul. Ainsi, on assiste bien en France à une érosion du socle historique de l'Etat social. Le modèle libéral tel qu'il s'est constitué aux Etats-Unis et, plus récemment, au Royaume-Uni, devient un horizon vers lequel nous nous orientons peu à peu. En même temps, le succès d'autres modèles, notamment le modèle danois, séduit par cette capacité à articuler efficacité économique et solidarité sociale. Les performances du Danemark en termes d'intégration professionnelle sont exceptionnelles. Elles sont dues en grande partie à la volonté collective de réduire les inégalités, à l'investissement dans la formation continue pour tous, dans la qualité des emplois, la protection, mais aussi l'accompagnement des chômeurs. Du coup, s'il est impossible de transférer ce modèle chez nous, rien n'empêche de s'en inspirer. Enfin, alors que se reconstituent de nouveaux bidonvilles à la périphérie de nos villes et que s'érigent dans le paysage urbain des frontières menaçantes entre les groupes, il n'est pas impossible de penser que les citoyens sauront retrouver le sens de l'association solidaire et renouveler le contrat qui les lie entre eux. La campagne pour l'élection présidentielle constitue en tout cas un cadre presque idéal pour en débattre.
Propos recueillis par Jean Birnbaum

Voici d'ailleurs quelques textes que j'ai donné récemment aux élèves à ce sujet.

« définir le type idéal de l’intégration professionnelle ne signifie pas repérer la forme la plus répandue, mais discerner à partir des formes historiques des sociétés contemporaines, les traits principaux qui lui donnent un sens.

Dans nos sociétés, l’intégration professionnelle assure aux individus la reconnaissance de leur travail, au sens de leur contribution à l’œuvre productive, mais aussi la reconnaissance des droits sociaux qui en dérivent. Autrement dit, l’intégration professionnelle ne signifie pas uniquement l’épanouissement au travail, mais aussi le rattachement, au-delà du monde du travail, au système de protection constitué à partir des luttes sociales dans le cadre de l’Etat-Providence.

On peut estimer que la première condition est remplie lorsque les salariés disent qu’ils éprouvent des satisfactions au travail. La seconde condition sera remplie si l’emploi exercé n’est pas aléatoire, autrement dit lorsqu’il permet au salarié de planifier son avenir. Ce type idéal qui conjugue satisfaction dans le travail et stabilité de l’emploi peut être qualifié d’intégration assurée. C’est à partir de ce type idéal qu’il est possible d’étudier ses déviations, lesquelles constitueront autant de sources possibles d’insatisfaction pour les salariés. En reprenant les deux conditions, on peut alors distinguer trois types de déviations : l’intégration laborieuse, l’intégration incertaine et l’intégration disqualifiante. »  

S.Paugam, le salarié de la précarité » PUF 2000


« on ne travaille pas toujours que pour l’argent. On travaille aussi pour son épanouissement personnel ou encore pour être reconnu socialement. Dit autrement, le travail permet de satisfaire les besoins d’au moins trois dimensions de l’individu :

- l’Homo faber qui renvoie à l’épanouissement dans l’acte de travail lui-même avec l’idée de « se faire en se faisant » ;

- l’Homo economicus qui lie la satisfaction du travail à la rétribution en fonction de l’état du marché,

- Enfin l’Homo sociologicus qui fait de la reconnaissance par les autres de son travail effectué un facteur essentiel de rémunération. »

S.Paugam, le salarié de la précarité » PUF 2000


Je trouve que la question de l'intégration sociale par le travail est bien cernée et permet de comprendre les enjeux actuels de la crise de la société salariale et de l'emploi. J'ajoute que les livres récents de Robert Castel sont aussi lumineux à ce sujet.
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commentaires

N
Je me situe plus dans l'Homo faber en ce moment, puisque j'ai fait le choix délicat de me consacrer à mes passions et de les muscler en étudiant sérieusement. Mais il faut les 3 pour s'épanouir. Malheureusement, beaucoup de gens ont des emplois qui ne les satisfont pas hélas, entre peur du chômage et charges à payer. Mais on peut toujours trouver un intérêt aussi dans un emploi, pas tous bien sur (mais là j'appelle cela des petits boulots qui d'ailleurs ne devraient pas se multiplier comme on le constate). Je connaissais déjà ce "Puf".<br /> Au passage, de plus en plus difficile de venir partager (car pour moi c'est un partage et un échange pas un largage de coms) en raison de ralentissements sur la plate-forme. Et puis félicitations pour l'iconographie toujours soignée chez toi.
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C
Oui, Nato, c'est un peu galère en ce moment pour partager, c'est sans doute le passage à la V2 je suppose...Moi, depuis quelques années, c'est l'Homo économicus qui est insatisfait ^^, alors que les deux autres se portent pas trop mal...
A
Merci Moebius. Tu m'as, par cet article inspiré pour la conclusion de mon mémoire.Je fais un lien entre la philosophie du travail souvent disparu du milieu familial de mes élèves et la volonté, grâce à l'ordinateur, de voir aboutir un projet. Bon.... je ne sais pas si tu m'as compris :-) 
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A
Je me situe dans les troisil nous faut de l'argent pour vivre mais j'ai choisi et il m'apporte une grande satisfaction personnelle. J'ai besoin de me prouver que je suis capable. (eh oui comme tu as déjà pu le constater ça n'est pas la confiance en moi qui m'étouffz) et j'avance aussi grâce à mes élèves qui progressent et arrivent à s'en sortir.(et viennent me revoir pour me le dire : jeudi ce fut le cas :-)passe un excellent dimancheAnnie
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C
Je suis comme toi, Annie.
S
Bon dimanche  a toi....
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