Après le cas de Nicolas Sarkozy, je voudrais analyser l'électorat de Ségolène Royal. Son score est historique (elle réalise le même que François Mitterrand en 1981), mais son handicap est important pour le deuxième tour (la gauche réalise 37 % des votes contre 45 % en 1981, ce qui est le total des voix de la droite en 2007).
Qui sont ses électeurs ? En quoi sont-ils différents de ceux de Nicolas Sarkozy ? Quelles motivations ont-ils donné à leurs votes ?
Que dire sur les électeurs de François Bayrou, décisifs pour le second tour ?
Je me suis appuyé sur l'enquête du CSA (sondage sortie des urnes auprès de 5 000 électeurs source ici)
* l'une des différences les plus fortes concerne l'âge: sur électeurs de 18 à 24 ans, 30 ont voté pour la candidate socialiste contre 20 pour Nicolas Sarkozy.
Les jeunes ont donc voté davantage en faveur de Ségolène Royal.
Cette différence ne se remarque que pour cette catégorie d'âge puisqu' ensuite, sur les 25-34 ans, Nicolas Sarkozy arrive en tête.
* Ségolène Royal possède un électorat classique de gauche: elle arrive en tête chez les classes populaires (les employés et les ouvriers), les salariés du secteur public et les chômeurs (elle recueille 31 % de leurs voix contre 21 % pour Nicolas Sarkozy). Elle a donc réussi son pari de susciter l'adhésion de ces catégories après le cuisant échec de 2002.
Sur les classes moyennes et supérieures, elle a encore un déficit important par rapport à Nicolas Sarkozy.
Enfin, le niveau de diplôme n'est pas un critère discriminant.
*Y-a-t-il eu un effet "femme" ? Ségolène Royal a parfois mis en avant sa féminité (on se rappelle de son discours de Villepinte).
La réponse est nuancée: les femmes (qui représentent 51 % des électeurs) ont voté à 32 % pour Nicolas Sarkozy et à 28 % pour Ségolène Royal.
Sur 100 électeurs de Ségolène Royal, 54 sont des femmes contre 52 pour Nicolas Sarkozy. Le critère du sexe n'est donc pas déterminant (même s'il a pu jouer légèrement en faveur de la candidate socialiste).
Il y a des différences centrales entre le sens que donnent les électeurs de Ségolène Royal à leur vote et le sens donné par les électeurs de Nicolas Sarkozy
* les thèmes de campagne:
64 % des électeurs de Ségolène Royal mettent en avant la question des inégalités sociales et 50 % posent le problème de l'emploi (thématiques de gauche).
Quant aux électeurs de Nicolas Sarkozy, 3 thèmes dominent: la sécurité (44 % contre 17 % pour l'électorat socialiste), l'emploi (mais la différence est moins forte) et l'immigration (36 % contre 11% pour l'électorat de Ségolène Royal).
* les qualités attribuées au candidat pour qui on vote
Des différences très nettes sont à remarquer entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal.
- pour Nicolas Sarkozy: ses qualités reconnues concernent son dynamisme et sa capacité à décider. Il a un déficit concernant son degré de proximité et son calme.
- pour Ségolène Royal: ses qualités reconnues par les électeurs sont justement sa proximité avec les gens et son calme. Mais elle a un déficit sur 2 points: sa capacité à décider et sa connaissance des dossiers.
=> On a ainsi une idée des angles d'attaque que chacun des candidats ne manquera pas de souligner lors du débat télévisé du 2 mai.
Voici la carte de mon département concernant les scores de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal au premier tour.
A vous de retrouver le votre sur ce site de cartographie absolument fabuleux dont j'avais déjà parlé. (en bleu Nicolas Sarkozy et en rose Ségolène Royal)
Est-il plus proche de Ségolène Royal ou de Nicolas Sarkozy ?
Cette question est cruciale car on sait que ce sont ces électeurs qui feront la décision.
* les thèmes de campagne
Chez l'électorat de François Bayrou, l'emploi arrive en tête (48 %) puis c'est la question des inégalités sociales (44 % soit 2 fois plus que pour l'électorat de Nicolas Sarkozy).
Quant on regarde dans le détails les différentes motivations, on s'aperçoit que la proximité avec les motivations de l'électorat de Ségolène Royal est beaucoup plus évidente qu'avec celle de Nicolas Sarkozy sur l'éducation la défense des services publics (thématiques de gauche). Sur la sécurité, l'immigration, la fiscalité (thématiques de droite), les écarts avec Nicolas Sarkozy sont significatifs.
=> Ségolène Royal a donc un réservoir de voix important pour le second tour étant donné la proximité des motivations.
* les qualités attribuées à François Bayrou par les électeurs.
les électeurs citent son honnêteté, sa proximité et ses qualités de rassembleur. Il a un déficit sur son dynamisme et sa capacité à décider.
* la composition sociologique de l'électorat de François Bayrou peut donner des indications sur le report des voix puisqu'on sait que les déterminants sociaux jouent un rôle non négligeable sur les explications du vote.
- l'âge: François Bayrou fait un bon score chez les jeunes de 18-24 ans (il est en deuxième position), ce qui est favorable à la gauche, mais a un déficit dans les catégories d'âge les plus nombreuses et arrive 2eme ex-aequo chez les personnes âgées (ce qui est favorable à la droite).
- le milieu social: il fait un bon score dans les catégories supérieures, et un score plus faible dans les couches populaires. Ce qui est favorable à la droite.
- le diplôme: son électorat est plutôt plus diplômé que la moyenne, mais on a vu que ce n'est pas un critère discriminant.
- la religion: on sait qu'elle est encore un marqueur très fort. Plus on est pratiquant, plus on vote à droite. L'électorat de François Bayrou est plus marqué par la religion catholique, il est donc plus enclin à voter à droite.
conclusion: sociologiquement, une grande partie de l'électorat de François Bayrou est plus proche de la droite que de la gauche.
Enfin, il serait intéressant de connaître le passé politique des électeurs de François Bayrou, ce qui peut aussi nous donner des indications sur leur comportement au deuxième tour.
Sur 100 électeurs de François Bayrou en 2007:
- 28 ont voté pour la gauche en 2002, 27 se sont abstenus et 42 avaient voté pour François Bayrou, Jacques Chirac ou Jean Marie Le Pen en 2002.
Tout l'enjeu réside donc dans ceux qui se sont abstenus, ils feront la différence.
- 49 avaient voté OUI au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen et 31 avaient voté NON. Chez Ségolène Royal, 39 avaient voté OUI et 39 ont voté NON (elle réussit à faire la synthèse) et chez Nicolas Sarkozy, 50 ont voté OUI et 29 ont voté NON.
conclusion: les 15 jours qui viennent seront décisifs.
Nicolas Sarkozy part avec un avantage certain qui est double.
1 / Sa stratégie de campagne a été efficace. Il a su rassembler son camp, rechercher des électeurs de gauche et d'extrême droite (sur 100 électeurs de Nicolas Sarkozy, 8 ont voté à gauche et 12 ont voté FN en 2002), il a su faire oublier le fait qu'il était au pouvoir depuis 2002 pour ne pas avoir son agenda politique tourné vers le bilan du gouvernement...
2 / les députés UDF et la composition sociologique de l'électorat de François Bayrou penchent de son côté.
Mais Ségolène Royal n'a pas perdu pour autant.
1 / Elle a gagné une légitimité nouvelle, elle doit conquérir de nouveaux électeurs qui ont une certaine proximité idéologique avec son programme,
2 / Elle peut bénéficier d'un effet "référendum pro et anti-Sarkozy" (des électeurs de François Bayrou qui craignent l'Etat-UMP et des électeurs du FN qui peuvent vouloir faire payer à Nicolas Sarkozy leur échec électoral).
Quand je vous dis que cette campagne est passionnante...
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