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8 août 2006 2 08 /08 /août /2006 09:47
Voici une série de billets sur deux notions importantes de sciences politiques: démocratie et totalitarisme.
Nous allons d'abord essayer de définir, selon les sciences sociales et politiques, le concept de démocratie.
Il est évident qu'à la question "qu'est-ce que, pour vous, la démocratie ?", beaucoup de personnes reprennent la célèbre formule:

 "la démocratie, c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple" (A.Lincoln)

Mais cette première approche n'est pas suffisante pour deux raisons essentielles:
     - aucun régime politique n'a pu fonctionner selon ces principes;
     - cette manière de définir la démocratie est un peu trop restrictive (elle cantonne la démocratie à un régime politique).

Voici toute une série de documents qui permettent de compléter et d'enrichir notre connaissance de la démocratie.

Section I: Naissance et affirmation des principes démocratiques modernes

     A / Comment justifier l'idée de démocratie ?

Doc.1 : Hobbes Thomas, 1588-1679, philosophe anglais : « Le Léviathan », 1651.

 

« Pour Hobbes, l'homme est mauvais : « l'homme est un loup pour l'homme », écrit-il, et la société inorganisée une jungle où régnera toujours le droit du plus fort.

Il faut donc préserver l'homme contre ses propres défauts en organisant la société dans laquelle il est obligé de vivre.

Pour cela, il faut confier le pouvoir à une autorité puissante qui, seule, pourra maintenir l'ordre dans l'intérêt même des citoyens.

Le moyen ? Une décision volontaire par contrat tacite. Les hommes abandonnent leur liberté, remettent la protection de leurs intérêts à cette autorité qui ne peut être que l'Etat (le Prince).

C'est donc finalement par sagesse et volonté lucide que ce contrat est conclu parce qu'il est nécessaire au maintien de la paix sociale. L'Etat est le moindre mal. Mieux vaut la souveraineté absolue de l'Etat que le risque de désordre que fait courir la liberté individuelle et égoïste car ce pouvoir absolu, qui a tous les droits, a également le devoir d?accomplir ce pour quoi il a été institué : assurer la paix sociale. »  

D'après C. Cadoux, Droit Constitutionnel et institutions politiques


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Doc.2 : Locke John, 1632-1704, traité du gouvernement civil, 1690.

« Les hommes étant naturellement libres, égaux et indépendants, nul ne peut être tiré de cet état, et être soumis au pouvoir politique d'autrui, sans son propre consentement, par lequel il peut convenir, avec d?autres hommes, de se joindre et s'unir en société pour leur conservation, pour leur sûreté mutuelle, pour la tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre (?) »

Pour Locke, c'est pour établir une autorité commune que les hommes concluent le contrat social. Ils confèrent au corps social les pouvoirs nécessaires à la poursuite de ses fins : le bien commun et la protection des droits naturels, parmi lesquels Locke fait figurer en bonne place le droit de propriété.

De là suit que le gouvernement absolu ne saurait être légitime, ne saurait être considéré comme un gouvernement civil, car le consentement des hommes au gouvernement absolu est inconcevable.

Comment imaginer qu'on veuille se mettre dans une situation plus mauvaise que ne l'était l'état de nature (...)

Ainsi la société, héritière des hommes libres de l?état de nature, possède à son tour deux pouvoirs essentiels.

L'un est le législatif, qui règlent comment les forces d'un Etat doivent être employées pour la conservation de la société et de ses membres. L'autre est l?éxécutif qui assure l?éxécution des lois positives.

Cette institution n'est cependant pas le résultat d'un contrat, elle est un trust. Ce qui implique au minimum que le peuple peut se révolter lorsque le pouvoir n'est pas exercé conformément au trust.  »

D'après J.J. Chevallier, les grandes oeuvres politiques de Machiavel à nos jours, A. Colin, 1972.


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Doc.3 : J.J. Rousseau, 1712-1778, philosophe et écrivain, Du Contrat social, 1762

« Rousseau part d'un postulat : l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt.

La société politique idéale exige un ordre social qui soit fondé sur un pacte consenti volontairement par les hommes. Ce contrat social est un accord des volontés individuelles, dans lequel chacun est libre, mais se soumet à une volonté commune incarnée par l'Etat.

Il ne s'agit pas d?un contrat de gouvernement passé entre des dominants et des dominés, mais d'un contrat de chacun avec soi-même : chacun, en acceptant d'appartenir à la société, légitime le pouvoir puisque chacun détient une part de souveraineté égale et accepte en même temps de se soumettre à la loi, expression de la volonté générale.

Les caractères de la souveraineté découle de l'origine contractuelle et de la définition du souverain. Le souverain constitué par le contrat social, est le peuple édictant la volonté générale, dont la loi est l'expression. Puisque seul le souverain, qui est le peuple en corps, a qualité pour faire la loi, celle-ci ne peut être injuste. Le souverain est chacun de nous, et « nul n'est injuste envers lui-même ». aucun gouvernant ne saurait être au-dessus des lois puisque tout gouvernant est un délégué du souverain. En étant soumis aux lois, on est libre, puisqu'elles ne sont que des « registres de nos volontés »

D'après J.J. Chevallier, les grandes oeuvres politiques de Machiavel à nos jours, A. Colin, 1972.


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L'idée de démocratie, on le voit, a connu tout un cheminement intellectuel avant de prendre son sens moderne. Une fois le sens des règles collectives fixées, il faut maintenant mettre en place ces principes, créer des institutions pour faire vivre ce concept...

Suite au prochain épisode



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12 juillet 2006 3 12 /07 /juillet /2006 07:55
En attendant un billet sur le sujet, je vous propose un mini-sondage sur le thème:


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7 juillet 2006 5 07 /07 /juillet /2006 11:21
Il faut me dire quel blog vous préférez:
celui-ci sur over-blog ou
l'autre sur blogger (cliquez sur sosses.blogspot.com)
Merci d'avance car je ne peux pas tenir deux blogs en même temps.


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6 juillet 2006 4 06 /07 /juillet /2006 16:40

Section 2 : l'analyse des débats

 Quels seront les débats concernant l'isoloir ?
 Quels seront les arguments développés ?
à travers sa désignation et les problèmes qu'il soulève
« Si un jour on met en place le suffrage féminin, faudra-t-il prévoir des cabines d'isolement côté des hommes et côté des femmes ? » G.Quilbeuf (député Républicain, Seine Inférieure, chambre des députés 23/12/1901)

« Mon attention ayant été appelée sur les dangers, du point de vue des maladies contagieuses, que peut présenter la mise à disposition des électeurs des crayons qui sont habituellement portés à la bouche, je recommande de remplacer dans les isoloirs, le crayon par des porte-plumes et des encriers »

circulaire du ministère de l?intérieur du 17 octobre 1913
 
« On veut faire cette loi surtout pour les campagnes, mais laissez-moi vous dire que les campagnards n'auront pas pour ouvrir leurs enveloppes la même dextérité que nous qui en avons l'habitude » E. Jolibois député conservateur de la Charente-Inférieure, chambre des députés, 25/02/1889
 
« la réforme du code électoral constitue une entrave et une gêne pour l'électeur qui risque de provoquer des embouteillages devant l'isoloir et même l'abstentionnisme. » J.B. Delpeuch (député républicain de la Corrèze, ) chambre des députés, 5/04/1892)
 
« je vois d'ici nos bons cultivateurs s'arrêter devant cet objet innomé, se diriger vers lui d'un pas méfiant, se demandant -il n'y sont pas habitués- si c'est une mauvaise farce qu'on veut leur faire. Ils pénètrent dans le local, ils cherchent à introduire dans l'enveloppe le bulletin. Combien, de leurs doigts durcis par le travail, déchireront l'enveloppe pour faire cette opération délicate qui aura lieu souvent dans l'obscurité la plus complète ? » Charles Ferry, député républicain chambre des députés 16/12/1901
 
« un grand nombre d'électeurs seront troublés par leur inhabitude à utiliser un meuble pareil » Charles de Boury, député républicain de l'Eure, chambre des députés 25/04/1905
 
« Avez-vous pensé à la gaucherie de l'électeur qui est toujours plus ou moins ému quand il vote ? » Antoine Lemire, député indépendant du Nord, chambre des députés 15/03/1908
 
« Messieurs, il faut un certain courage pour venir défendre au mon de la commission une disposition au nom de laquelle la Chambre manifeste une douce hilarité » Lefèvre-Pontalis, chambre des députés, 25 février 1889

Extrait d'un débat sur l'isoloir au Sénat 12 décembre 1907
 
Mr Flaissières : « Je fais appel ici à ceux de nos collègues qui ont présidé des bureaux de vote? Eh bien ! ne vous est-il pas apparu que la plupart de nos électeurs, devant l'urne électorale, sont considérablement émus, à tel point qu'ils ne savent plus s'ils doivent présenter la carte électorale ou le bulletin de vote pour être introduit dans l'urne ?

( Dans l'assemblée, cris : très bien ! très bien ! )

N'arrive-t-il pas que des électeurs ayant reçus aux abords du bureau de vote des bulletins différents, et n'ayant pas voulu, précisément pour conserver le secret de leur vote , les plier devant ceux qui les leur distribuèrent, une fois parvenus devant l'urne, ne savent plus quel bulletin ils doivent y déposer ?

( Dans l'assemblée, cris : très bien ! très bien ! )

 Mr Maurice-Faure : Ils seront bien plus troublés derrière le dispositif
 
Mr Flaissières : Qu'adviendra-t-il lorsqu'un certain nombre de ces électeurs à la mentalité si fragile, qui se laissent émouvoir sinon intimider, seront introduits dans la petite boite, d'allure téléphonique, j'imagine?
 
Mr Le Cour Grandmaison : dans la cabine à scrutin secret ?
 
Mr Gaudin de Villaine : Ils n'en sortiront plus, c'est clair !
 
Mr Flaissières :Vous avez raison, il y en a dont il faudra violer le secret pour les extraire du petit local dont ils ne sauront plus sortir.
 
 
« Comment voteront les paralytiques et les manchots ? » Le Comte de Martimprey député du nord, conservateur, chambre des députés 25/02/1889

« il y a beaucoup d'électeurs qui ne pourront pas mettre leur bulletin dans l'enveloppe, par exemple des vieillards atteints de tremblement, des ouvriers qui ont les mains très calleuses. » Germain Périer, député de la Saône et Loire, républicain, chambre des députés 24/11/905

 

« s'il est vieux, infirme ou sait à peine écrire, il lui faudra peut être dix minutes » Le marquis de l'Estourbeillon député du Morbihan, catholique indépendant, chambre des députés 21/10/1906

 
« non aux cabines fantastiques de Robert Houdin ! Il pourra y avoir derrière ce rideau bien des surprises : l'électeur peut y perdre son bulletin et la tête aussi » P. Bourgeois chambre des députés avril 1898
«  l'isoloir sera le foyer de tous les troubles. Je me demande si le rideau cachera suffisamment le secret de l'alcove? L'électeur pourra être en état d'ébriété ? ce qui arrivera souvent » Marquis de l'Estoutbeillon, chambre des députés, 17/12/1901

                       1°) les partisans de l'isoloir : « la moralisation du suffrage universel »

Les partisans de la réforme du code électoral la définissent comme « une oeuvre de moralisation du suffrage universel », leur objectif est donc de prévenir, interdire et sanctionner les pratiques électorales irrégulières.

argument 1: Ils ont tendance à exagérer l'ampleur de la fraude électorale.

 Qu'en est-il réellement ? En ce qui concerne les élections législatives, sur près de 600 députés, on a un taux de contestation qui varie de 0.2 % à 22 %, et le taux d'invalidation pouvait atteindre 13 %. L'ampleur des écarts aux élections de 1877-1885 et de 1889 s'explique par l'enjeu capital des élections qui portaient sur la nature du régime politique (monarchie contre république puis boulangisme). Par la suite, les fraudes électorales diminuent, la loi de 1913 est adoptée alors que le niveau de contestation et d'invalidation a beaucoup baissé.

argument 2 : « le secret du vote est une fiction. »

 On l'a vu, la procédure électorale en vigueur était celle d'un vote secret (l'électeur apporte son bulletin préparé en dehors de l'assemblée et remet son bulletin fermé) en public.

En réalité, le vote était tantôt secret, tantôt public, voire mi-secret ou mi-public en raison des conditions locales spécifiques d'exercice du vote.

On sait que le secret du vote était mal assuré dans les campagnes, était mieux gardé dans les villes. Cela dépendait surtout des situations de dépendance sociale : la procédure électorale n'impliquait pas que le vote était public, mais elle autorisait le fait qu'il pût l'être. Il pouvait exister une sorte de pression invisible qui, en faisant voter les électeurs sous les yeux des personnes dont ils étaient dépendants, les poussaient à plaire ou à prendre le risque de déplaire.

« Lutter contre la fraude     +      renforcer le secret du vote      =      moraliser le suffrage universel »
     stigmatisation des                      (re)définition des règles
        transgressions 

les réformateurs traduisent la légitimité de leurs actions pour imposer de nouvelles normes.
Mais ils ne peuvent pas convaincre ceux qui ne perçoivent pas ces transgressions comme telles et se représentent les nouvelles règles proposées comme des bizarreries parce qu'elles sont étrangères à leurs propres pratiques.

Certaines formes de pression électorale dénoncées comme corruption par les réformateurs sont considérées comme l'exercice d'une influence sociale légitime par les adversaires de l'isoloir.

La réforme du code électoral paraît alors affecter les ressources électorales par lesquelles on se fait élire. Or tous les hommes politiques ne disposent pas des mêmes ressources.

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2 juillet 2006 7 02 /07 /juillet /2006 10:39

Section 2 : l'analyse des débats

 l'isoloir à travers sa désignation et les problèmes qu'il soulève

« Si un jour on met en place le suffrage féminin, faudra-t-il prévoir des cabines d'isolement côté des hommes et côté des femmes ? » G.Quilbeuf (député Républicain, Seine Inférieure, chambre des députés 23/12/1901)

« Mon attention ayant été appelée sur les dangers, du point de vue des maladies contagieuses, que peut présenter la mise à disposition des électeurs des crayons qui sont habituellement portés à la bouche, je recommande de remplacer dans les isoloirs, le crayon par des porte-plumes et des encriers »

circulaire du ministère de l?intérieur du 17 octobre 1913
 

« On veut faire cette loi surtout pour les campagnes, mais laissez-moi vous dire que les campagnards n'auront pas pour ouvrir leurs enveloppes la même dextérité que nous qui en avons l'habitude » E. Jolibois député conservateur de la Charente-Inférieure, chambre des députés, 25/02/1889

 
« la réforme du code électoral constitue une entrave et une gêne pour l'électeur qui risque de provoquer des embouteillages devant l'isoloir et même l'abstentionnisme. » J.B. Delpeuch (député républicain de la Corrèze, ) chambre des députés, 5/04/1892)
 
« je vois d'ici nos bons cultivateurs s'arrêter devant cet objet innomé, se diriger vers lui d'un pas méfiant, se demandant -il n'y sont pas habitués- si c'est une mauvaise farce qu'on veut leur faire. Ils pénètrent dans le local, ils cherchent à introduire dans l'enveloppe le bulletin. Combien, de leurs doigts durcis par le travail, déchireront l'enveloppe pour faire cette opération délicate qui aura lieu souvent dans l'obscurité la plus complète ? » Charles Ferry, député républicain chambre des députés 16/12/1901
 

« un grand nombre d'électeurs seront troublés par leur inhabitude à utiliser un meuble pareil » Charles de Boury, député républicain de l'Eure, chambre des députés 25/04/1905

 
« Avez-vous pensé à la gaucherie de l'électeur qui est toujours plus ou moins ému quand il vote ? » Antoine Lemire, député indépendant du Nord, chambre des députés 15/03/1908
 

« Messieurs, il faut un certain courage pour venir défendre au mon de la commission une disposition au nom de laquelle la Chambre manifeste une douce hilarité » Lefèvre-Pontalis, chambre des députés, 25 février 1889


Extrait d'un débat sur l'isoloir au Sénat 12 décembre 1907
 
Mr Flaissières : « Je fais appel ici à ceux de nos collègues qui ont présidé des bureaux de vote? Eh bien ! ne vous est-il pas apparu que la plupart de nos électeurs, devant l'urne électorale, sont considérablement émus, à tel point qu'ils ne savent plus s'ils doivent présenter la carte électorale ou le bulletin de vote pour être introduit dans l'urne ?

( Dans l'assemblée, cris : très bien ! très bien ! )

N'arrive-t-il pas que des électeurs ayant reçus aux abords du bureau de vote des bulletins différents, et n'ayant pas voulu, précisément pour conserver le secret de leur vote , les plier devant ceux qui les leur distribuèrent, une fois parvenus devant l'urne, ne savent plus quel bulletin ils doivent y déposer ?

( Dans l'assemblée, cris : très bien ! très bien ! )

 Mr Maurice-Faure : Ils seront bien plus troublés derrière le dispositif
 
Mr Flaissières : Qu'adviendra-t-il lorsqu'un certain nombre de ces électeurs à la mentalité si fragile, qui se laissent émouvoir sinon intimider, seront introduits dans la petite boite, d'allure téléphonique, j'imagine?
 
Mr Le Cour Grandmaison : dans la cabine à scrutin secret ?
 
Mr Gaudin de Villaine : Ils n'en sortiront plus, c'est clair !
 
Mr Flaissières :Vous avez raison, il y en a dont il faudra violer le secret pour les extraire du petit local dont ils ne sauront plus sortir.
 
 

« Comment voteront les paralytiques et les manchots ? » Le Comte de Martimprey député du nord, conservateur, chambre des députés 25/02/1889

« il y a beaucoup d'électeurs qui ne pourront pas mettre leur bulletin dans l'enveloppe, par exemple des vieillards atteints de tremblement, des ouvriers qui ont les mains très calleuses. » Germain Périer, député de la Saône et Loire, républicain, chambre des députés 24/11/905

 

« s'il est vieux, infirme ou sait à peine écrire, il lui faudra peut être dix minutes » Le marquis de l'Estourbeillon député du Morbihan, catholique indépendant, chambre des députés 21/10/1906

 

« non aux cabines fantastiques de Robert Houdin ! Il pourra y avoir derrière ce rideau bien des surprises : l'électeur peut y perdre son bulletin et la tête aussi » P. Bourgeois chambre des députés avril 1898

«  l'isoloir sera le foyer de tous les troubles. Je me demande si le rideau cachera suffisamment le secret de l'alcove? L'électeur pourra être en état d'ébriété ? ce qui arrivera souvent » Marquis de l'Estoutbeillon, chambre des députés, 17/12/1901

                       1°) les partisans de l'isoloir : « la moralisation du suffrage universel »

Les partisans de la réforme du code électoral la définissent comme « une oeuvre de moralisation du suffrage universel », leur objectif est donc de prévenir, interdire et sanctionner les pratiques électorales irrégulières.

argument 1: Ils ont tendance à exagérer l'ampleur de la fraude électorale.

 Qu'en est-il réellement ? En ce qui concerne les élections législatives, sur près de 600 députés, on a un taux de contestation qui varie de 0.2 % à 22 %, et le taux d'invalidation pouvait atteindre 13 %. L'ampleur des écarts aux élections de 1877-1885 et de 1889 s'explique par l'enjeu capital des élections qui portaient sur la nature du régime politique (monarchie contre république puis boulangisme). Par la suite, les fraudes électorales diminuent, la loi de 1913 est adoptée alors que le niveau de contestation et d'invalidation a beaucoup baissé.

argument 2 : « le secret du vote est une fiction. »

 On l'a vu, la procédure électorale en vigueur était celle d'un vote secret (l'électeur apporte son bulletin préparé en dehors de l'assemblée et remet son bulletin fermé) en public.

En réalité, le vote était tantôt secret, tantôt public, voire mi-secret ou mi-public en raison des conditions locales spécifiques d'exercice du vote.

On sait que le secret du vote était mal assuré dans les campagnes, était mieux gardé dans les villes. Cela dépendait surtout des situations de dépendance sociale : la procédure électorale n'impliquait pas que le vote était public, mais elle autorisait le fait qu'il pût l'être. Il pouvait exister une sorte de pression invisible qui, en faisant voter les électeurs sous les yeux des personnes dont ils étaient dépendants, les poussaient à plaire ou à prendre le risque de déplaire.

« Lutter contre la fraude     +      renforcer le secret du vote      =      moraliser le suffrage universel »
     stigmatisation des                      (re)définition des règles
        transgressions 

les réformateurs traduisent la légitimité de leurs actions pour imposer de nouvelles normes.
Mais ils ne peuvent pas convaincre ceux qui ne perçoivent pas ces transgressions comme telles et se représentent les nouvelles règles proposées comme des bizarreries parce qu'elles sont étrangères à leurs propres pratiques.

Certaines formes de pression électorale dénoncées comme corruption par les réformateurs sont considérées comme l'exercice d'une influence sociale légitime par les adversaires de l'isoloir.

La réforme du code électoral paraît alors affecter les ressources électorales par lesquelles on se fait élire. Or tous les hommes politiques ne disposent pas des mêmes ressources.


                         2° ) les adversaires de l'isoloir : « la désagrégation sociale »

l'histoire de la désignation de l'isoloir et des arguments mobilisés contre l'isoloir n'est pas qu'anecdotique : la disqualification de cet instrument  est très révélatrice :

l'imaginaire de l'isoloir se rapporte aux lieux de réclusion, ce qui s'oppose à l'argument des réformateurs qui  le présente comme un instrument d'affranchissement : c'est un lieu de contrainte, de privation de liberté avec les références à l'univers carcéral : le cabanon, la cellule

l'isoloir suscite les répulsions du mélange social, de la promiscuité malsaine, des rencontres scandaleuses (homme, femme). Il ne protège pas mais expose aux dangers du mélange social (les maladies contagieuses, la préoccupation hygiéniste)


       des critiques liées à la protection des électeurs et des élections : cela va entraîner de la  lenteur, les électeurs seront gênés par l'obscurité et l'exiguïté des lieux. On évoque aussi l'incapacité de l'électeur (les gros doigts des cultivateurs, les paralytiques?) qui désigne en fait l'incompétence politique.
 

L'analyse du scrutin du 1er avril 1898 fait apparaître une corrélation étroite entre les prises de position des députés sur l'isoloir et leur statut social d'origine :

Les députés sont d'autant plus hostiles à l'isoloir que leur position sociale d'origine est élevée.

  • le rejet de la réforme du code électoral et de l'isoloir  représente un refus social des élites (aristocratie et haute bourgeoisie) qui dominent la chambre des députés

On retrouve cela dans la tonalité même d'indignation exprimant l'hostilité à la codification du vote :

 

« une humiliation pour nos électeurs »

« une sorte d'insulte contre le corps électoral et contre le bureau de vote que d'entourer l'électeur et le bureau de tant de précautions qui sont autant de suspicions »

« je me demande quelle idée vous vous faites de l'indépendance et de la dignité de l'électeur ? »

 

Cela traduit l'idée que les élus aristocratiques se font de l'électeur : l'indignation traduit en fait une condescendance par laquelle ces élus manifestent leur supériorité bienveillante en protégeant l'électeur de leur propre incapacité. Mais elle assigne l'électeur à son incompétence statutaire lorsqu'on l'objective dans les « mains calleuses » « doigts durcis » cf Bourdieu « Mon brave »

 

La vision aristocratique ne peut que s'opposer à l'isoloir : la visibilité sociale qui s'inscrit dans l'espace et le temps des rites publics comme les cérémonies officielles, religieuses officialise le rang. Dans l'obligation de tenir son rang, l'être se confond avec le devoir de paraître.

L'isoloir crée un rituel de l'occultation (du vote et de l'électeur) qui contrarie l'obligation de paraître puisque pour voter, il faut disparaître. Devoir se cacher devient une obligation infamante qui soulève la répugnance propre à tout ce qui peut lui être associé : la honte, la faute, la culpabilité ou la peur. Le refus aristocratique se présente sous des arguments techniques, il est avant tout un refus éthique. C'est se dégrader que d'être mis au rang de tout le monde ; c'est sacrifier l'éthique de l'honneur à l'idéologie de l'égalité. Les députés aristocratiques opposent de façon obsessionnelle la liberté à l'isoloir ; la liberté qui est affirmation de soi, de son rang, une qualité et une essence que toute codification contredit.

 

 

 

 

Les élus issus de la noblesse ne représentent qu'une minorité de parlementaire (20 à 25 %). Des élus de la haute bourgeoisie s'opposent à l'isoloir en des termes relativement comparables (l'aristocratisme dépasse l'aristocratie), cette similitude des schémas de représentation s'explique par des positions sociales de domination : l'affirmation de la distance sociale correspond à une stratégie d'affirmation de l'écart distinctif qui les sépare des députés prétendants en voie d'ascension politique (petite bourgeoisie intellectuelle)

 

La domination politique produite par le processus électoral en vigueur se définit dans un cadre local :le statut patrimonial se fonde sur une assise locale de la domination économique et sociale => on peut en voir les preuves dans les cartes électorales.

 

 

Il y a une distribution spatiale assez contrastée entre les élus hostiles ou favorables à la réforme :

départements où le vote est hostile : façade ouest, nord-est, alpes frontalières. Ce sont aussi des départements où il y a d'importants patrimoines fonciers (ouest) et industriels (les vosges, le nord, le Rhône).

Départements où le vote favorable l'emporte (le centre, le midi, vallée du Rhône)

 

L'opposition à la réforme est aussi liée à l'ancienneté du mandat parlementaire : plus la date de la première élection est ancienne, plus les élus sont hostiles à la réforme.

La stabilité électorale a permis aux anciens de se constituer un réseau d'obligé à partir du travail politique accompli dans leur circonscription.

L'appartenance à la majorité gouvernementale et les fonctions ministérielles ont favorisé les parlementaires républicains en leur donnant un accès privilégié aux biens publics qu'ils pouvaient distribuer pour créer et entretenir leur réseau clientélaire.

 

     On voit à travers l'étude des votes et des débats parlementaires l'opposition entre deux types d'entreprises politiques différenciées selon les biens offerts :

      les notables qui investissent des biens divisibles associés aux relations de dépendance personnelle (biens divisibles privés : travail ou argent  ou  publics : emplois publics, décorations)

Ils vont dénoncer, dans les programmes de leurs adversaires, des utopies conduisant à menacer l'ordre social ou la religion

les prétendants qui offrent des biens indivisibles symboliques (ce sont les programmes politiques).

Ils vont dénoncer la corruption du suffrage universel dans la distribution de ces biens divisibles.

 

Du côté des électeurs, on peut dire que :
L'intérêt pour les biens divisibles est lié aux relations de dépendance personnelle. Cette dépendance peut être matérielle (des métayers et des fermiers à l'égard de leur emploi), morale ou spirituelle à l'égard des biens de salut (menace de l'enfer, refus des sacrements).

L'intérêt pour les biens indivisibles dépend de l'affaiblissement des liens de dépendance personnelle et la montée de la politisation, càd d'intérêt proprement politique pour les questions politiques.

 

 

                3°) la majorité républicaine introuvable

 

Il y a un paradoxe (apparent) : la réforme du code électoral ressemble plutôt, dans l'imagerie politique, à une loi d'inspiration républicaine. Pourtant elle échouait par les républicains et non en dépit des républicains. En 1898 et en 1901, la plupart des élus  républicains progressistes avaient rejoint le camp des conservateurs pour s'opposer à l'isoloir.

 

  • Pour quelles raisons ?
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2 juillet 2006 7 02 /07 /juillet /2006 09:58
Introduction

Un jour d'élection, invariablement les électeurs exécutent les mêmes gestes : il n'est pas besoin de savoir que la loi oblige à passer par l'isoloir, la force du rite suffit.
Mais la réussite du travail d'imposition de la norme s'est réalisée dans l'amnésie de ce travail : qui connaît la loi de 1913 ?
Cette amnésie commence dès 1913 : la loi qui institue l'essentiel du code électoral est adoptée sans décompte des voix et sans débat.

Elle est appliquée aux élections générales de 1914 : la presse ne fait pas l'écho d'incidents majeurs sauf le Petit Parisien qui note que l'isoloir eut-il fallait s'y attendre- un certain succès de curiosité »
(27 avril 1914)

La controverse sur l'isoloir ne se réduit pas à une simple querelle sur une procédure technique, ce qui serait dérisoire. Elle oppose des conceptions du citoyen et du vote derrière la façade des arguments techniques, elle est révélatrice des oppositions entre des modes de domination politique et des types d'entrepreneurs politiques.

Section 1 : la genèse de la loi 

           1°) comment voter ?











 




« Il faut inspirer à l’enfant un respect quasi religieux pour ce grand acte de vote (…) Il faut que cela devienne chez lui comme une sorte d’instinct acquis, si bien que ce jeune citoyen s’approchera de la simple boite en bois blanc déposé sur la table de vote, il éprouve quelque chose de cette émotion que ressentent les croyants lorsqu’ils s’approchent de l’autel. » Paul Bert, 1882

 

 

article 46 de la loi du 15 mars 1849, les électeurs « apportent leurs bulletins préparés en dehors
de l'assemblée », puis « l'électeur remet son bulletin fermé ? le Président le dépose dans la boîte du scrutin? » (article 48).

La loi stipulait que « le papier doit être blanc et sans signes extérieurs » (article 47)

l'électeur remet au président son bulletin fermé. Le président le dépose dans la boite du scrutin

 

- il s'agissait de vérifier qu'un seul bulletin allait être introduit dans l'urne

        - mais en remettant son bulletin, l'électeur était démis du geste ultime . cela concorde avec la représentation hiérarchique d'un ordre social fondé sur l'existence de liens intermédiaires.


           2° ) un travail de codification très long

la loi du 29 juillet 1913 se présente en apparence comme une codification cohérente qui forme « système ».
Cette loi fixant le code électoral contient 4 types de dispositions essentielles :

l'enveloppe uniforme

l'isoloir

l'unicité d'inscription sur les listes électorales

une représentation des candidats parmi les scrutateurs

 En réalité, cette loi se présente comme un bricolage fait d'une suite d'additions, de soustractions et de reformulations : le travail de codification fut extrêmement long en s'étendant sur une trentaine d'années.

 rapports et projets de loi concernant la façon de voter dans le code électoral

 
Rapports parlementaires
 
Débat à la Chambre des députés
Débats au Sénat
Juin 1876 : Rapport Malezieux sur l'enveloppe
 
 
Mai 1880 : Rapport Girard sur l'enveloppe
L'enveloppe est adoptée

Novembre 1880 : renvoi en commission, on évoque l'association de l'enveloppe et de l'isoloir

1883 : Commission parlementaire spéciale associant l'enveloppe et l'isoloir

 
 

Juillet 1885 : Rapport Corentin-Guyho sur l'enveloppe et l'isoloir

Pas de discussion
 

Juillet 1886 :Rapport Gaussorgues sur l'enveloppe et l'isoloir

Février 1889 : le vote sur l'article 3 (l'isoloir) est réservé, intervention du ministre de l'intérieur et renvoi à la commission

 
Février 1890 :Rapport Trouillot

Avril 1892 : rejet de l'article 1 (papier uniforme)

 
Juillet 1897 : Proposition Defontaine
 
 
Janvier 1898 : Rapport Bienvenu Martin

Avril 1898 : la proposition de loi (issue de la proposition Defontaine) est rejetée par 265 voix contre et 216 voix pour

 
Mars 1900 : Rapport Ruau

Décembre 1901 : le président du conseil (Waldeck-Rousseau) est opposé à l'article sur l'isoloir, l'article est repoussé par 344 voix contre 207

 
Juillet 1903 : Rapport Ruau

Octobre 1904 : l'ensemble des articles est adopté



 

 

Novembre 1905 : l'ensemble des articles est adopté par 460 voix contre 125

 

Juin 1905 : l'article sur l'isoloir est rejeté par 170 voix contre 116

 
 

Février 1906 :l'article sur l'isoloir est rejeté

Février 1908: Rapport Reinach

Juin 1908 : l'ensemble des articles est adopté par 485 voix contre 74

Juin 1909 : résolution demandant d'activer la mise à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi

Janvier 1910 : interpellation du gouvernement pour l'inviter à faire adopter la proposition de loi par le Sénat

 
Février 1912 : Rapport Reinach

Mars 1912 : l'ensemble des articles est adopté par 505 voix contre 0

 
 
Juillet 1913 : la loi est adoptée
 
 

Juin 1913 : l'ensemble des articles est adopté sans décompte des voix

 
Document 7 : l'adoption de l'isoloir.
 
1857
 
1872
1877
1884
1903
1911
1913
Australie
Royaume-Uni
Belgique
Norvège
Allemagne
Chili
France

 

Pourquoi un tel décalage entre la France et les autres alors que nous sommes le pays qui a adopté le suffrage universel avant les autres ?

              3°) facteurs explicatifs

pour l'essentiel, c'est le contexte politique et institutionnel qui explique un tel retard

- jusqu'en 1904, il n'y a pas de majorité à la chambre des députés et au sénat. Chaque fois qu'une majorité paraissait devoir s'affirmer, des défections décisives intervenaient, notamment sur l'institution de l'isoloir

- jusqu'en 1901, la position des réformateurs était mal assurée : soit l'isoloir était présenté comme une simple garantie, soit il s'agissait d'une mesure absolument indispensable. De l'autre côté, les manoeuvres d'obstruction et l'enlisement dans les navettes parlementaires ont été très efficaces.

- Chaque fin de législature obligeait à remettre l'ensemble du dispositif (les 4 dispositions) sur le métier

- Le code électoral en vigueur en France comme le déroulement concret des élections donnaient suffisamment de satisfaction pour qu'il n'y ait pas d'urgence. Ce n'était pas le cas pour l'Australie : beaucoup de troubles et d'irrégularités mettaient en danger les élections. De même au Royaume-Uni , la corruption électorale était une tradition avant l'adoption du Ballot Act en 1872.

 

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28 juin 2006 3 28 /06 /juin /2006 18:21
Je suis surpris par le global manque d'intérêt des médias (sauf France 5) et des organisations politiques et syndicales (allez sur leur site, vous verrez) concernant les 70 ans du Front Populaire.

Et pourtant, les acquis économiques, sociaux et culturels de 1936 sont encore aujourd'hui considérables :

1 / D'abord des acquis sociaux importants :

- La baisse du temps de travail à 40 heures par semaine et les premiers congés payés.
- Les travailleurs obtiennent le droit d'être défendus par des délégués, l'inspection du travail peut intervenir avant licenciement.
- Les conventions collectives encadrent les relations entre les salariés et des employeurs encore marqués par le paternalisme.
La premiere réforme sera symboliquement associée à la naissance (toute relative) de "la civilisation des loisirs" (qui sera véritablement effective qu'à partir des années 1960).
Les deux derniers points vont permettre de rééquilibrer les relations entre salarié et employeur et d'inscrire celle-ci dans un cadre collectif (et non plus simplement entre un individu qui désire vendre sa force de travail - le travailleur- et une organisation qui souhaite acheter cette force de travail - l'entreprise)

2/ Une politique éducative ambitieuse (sous la direction de Jean Zay) :

- La scolarité est obligatoire jusqu'à 14 ans.
- La multiplication des bourses aux élèves de primaire.

- L'introduction de l'éducation sportive obligatoire,
- La création des Comités des œuvres en faveur des étudiants, ancêtre des CROUS (centre des oeuvres universitaire et scolaire).
- L'essor des colonies de vacances...


3/ Une oeuvre culturelle volontariste:


- Création du Musée de l'Homme, du palais de la Découverte, du CNRS...

- mise en place des tarifs réduits pour les personnes les plus modestes (rien que ça !).

Dans la tradition humaniste et rationaliste, le gouvernement Blum estime que la culture est un bien commun dont il faut démocratiser l'accès.


Certes, le bilan n'est pas tout "rose", loin s'en faut:

- la durée de vie du Front Populaire fut très courte (1936 - 1938: ce qui donna des complexes à la gauche, réputée "incapable de garder le pouvoir" avant 1981).

- Sa politique économique (s'inspirant du New Deal de
Roosevelt: électrification des campagnes, construction de routes et de ponts...) n'a pas porté ses fruits: le redressement de la production industrielle et la réduction du chômage sont inférieurs à celui des autres Etats, l'inflation demeure très forte et les salaires réels n'ont que très peu progressé en 1938 par rapport aux accord Matignon de 1936, le franc a été dévalué...

- Des contradictions importantes sont apparues:
1 / la politique extérieure fut, pour le moins ambigue au moment de la guerre d'Espagne;
2 / c'est la Chambre élue en 1936 (moins 20 députés communistes et 26 députés embarqués pour l'Afrique du Nord) qui vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940, mettant fin à la troisième République (et à la démocratie).

Mais il n'en demeure pas moins que 1936, après d'autres dates, a posé les fondements de la République Sociale.

Deux films incarnent bien l'esprit de 1936:
"la Belle Equipe" et "l'école buissonnière".

Le premier raconte l'histoire d'une bande de copains au chômage qui vont monter une "guinguette" au bord de l'eau avec l'argent gagné grâce à un billet de loterie. Après des débuts prometteurs et enthousiastes (comme le Front populaire), le projet collectif bute sur les intérêts, les stratégies des uns et des autres. Le film comporte deux fins, une "happy end" et une fin tragique (prémonitoire ?). Jean Gabin est définitivement consacré (il incarne magnifiquement "l'ouvrier - prolétaire") , on retrouve la fameuse chanson populaire "Quand on s'promène au bord de l'eau" (reprise par Bruel avec J.L Aubert dans son double album entre-deux)
Tout est là : les espoirs de reprendre en main collectivement son destin, la culture populaire et sa mythologie ouvrière (les guingettes, la chanson, les héros sont des chômeurs...); mais aussi les craintes sur l'avenir, le désespoir, la lâcheté et les petites trahisons de chacun.

Le deuxième film date de 1947 mais évoque le pédagogue Célestin Freinet à travers le personnage de Bernard Blier(lui aussi très remarquable). Ce film (peu connu) vient de ressortir en DVD.
Même s'il ne bouleverse pas le cinéma, il dresse un portrait émouvant d'un jeune instituteur (blessé de 14-18) qui est muté dans un petit village. Il arrive avec ses nouvelles méthodes pédagogiques qui vont dérouter tous les habitants du village et les autorités. Il demande aux élèves d'utiliser les nouvelles technologies (utiliser une presse d'imprimerie), de se mettre en position de produire eux-mêmes leurs savoirs, d'aller chercher les informations à leur source (les habitants du village, les correspondants de classe vont communiquer leurs spécialités, ce qui permettra d'alimenter un journal de classe).
On retrouve la tradition humaniste du front populaire: cette volonté d'être exigeant mais accessible, de reconnaitre chacun pour mieux vivre ensemble. Quelle modernité ! ... à revoir absolument.
pour en savoir plus: la revue BT sur ce film

S'il y a un héritage du Front Populaire, c'est celui-là.


Il faut savoir d'où on vient pour savoir où aller...


Pour aller plus loin: l'excellent site de France 5 sur le sujet


Je ne résiste pas à l'envie de citer le centre confédéral d'éducation ouvrière de la CGT en juin 1936 qui prodigue quelques conseils aux bénéficiaires des premiers congés payés:
"Il y a deux façons de concevoir la période des vacances.
Ou bien en randonneurs, vous irez, à travers toute une région, ceux-là par le train et les autocars, d'autres dans leur modeste voiture personnelle, d'autres en tandem, quelques uns à pied même (...)
Ou bien vous choisirez un lieu de résidence, une plage, une station dans la montagne, un village en pleine campagne, au bord de l'eau; et là vous vivrez paisibles coupant le séjour de quelques excursions joyeuses.
Ce sont là deux emplois du temps qui sont d'abord déterminés par des possibilités financières, nous le savons. Mais ils doivent correspondre aussi à des nécessités différentes.
La randonnée vous permettra de rapporter, avec un lot éclatant de visions, la joie d'avoir vu ce dont depuis si longtemps les autres parlaient, la joie de pénétrer un monde nouveau (...) N'oubliez pas cependant que de telles vacances seront fatiguantes aussi bien par leur rythme que par le cahot des voitures et la poussière des routes. Si votre vie habituelle est déjà une vie enfiévrée, où domine l'usure nerveuse, méfiez-vous des circuits impressionnants par la surface du territoire qu'ils recouvrent (...)
Songez que deux semaines de résidence en pleine nature, avec les longues flâneries sur le sable ou dans le pré aux herbes folles, vous apporteront, avec des joies profondes, plus d'équilibre et plus de détente; surtout ne cédez pas au désir d'aller dans tel endroit célèbre pour la sotte vanité d'en pouvoir discourir triomphalement à votre tour (...)
Ces vacances doivent être, avant tout, une compensation à tout ce que vous refuse d'ordinaire la vie; elles doivent vous offrir une possibilité d'être plus pleinement vous-même (...)


Cité par Danielle Tartakowsky in "Le Front Populaire" La Découverte GALLIMARD
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28 juin 2006 3 28 /06 /juin /2006 17:31
Je vous signale, pour prolonger le dernier cours de l'université pour tous (mardi 20 juin), qu'une conférence des auteurs du livre sur le travail et le bonheur est disponible en ligne.
Cliquez sur le lien suivant
Faut-il travailler pour être heureux ?
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28 juin 2006 3 28 /06 /juin /2006 17:04
Séance Ciné-débat vendredi 11 juin à Toucy

projection du film "sauf le respect que je vous dois"

Le film raconte l'histoire d'un cadre (joué par Olivier Gourmet) dans une entreprise d'imprimerie qui voit son meilleur ami se suicider dans son bureau. Il rechignait à accroître l'intensité de son travail, son employeur l'a alors licencié. Le lendemain, tout semble continuer comme avant, mais le personnage joué par Olivier Gourmet ne supporte pas cette indifférence et cherche à en savoir plus...

Les acteurs sont très bons (en particulier Olivier Gourmet), la mise en scène est honnête, j'ai bien aimé également la bande originale. Le film insiste surtout sur les rapports psychologiques entre les personnages. Le thème du harcèlement et de la violence en entreprise est un peu trop survolé à mon goût, il aurait pu faire l'objet de plus d'attention de la part de la réalisatrice.
Il existe d'autres films contemporains sur l'entreprise: "Violences des échanges en milieu tempéré" (Quel titre !) et surtout "Ressources Humaines" (davantage centré sur le conflit social, les relations père-fils, ouvrier-cadre supérieur...)


Un débat a suivi la projection. Jean-Luc Minier a su poser les problèmes juridiques du harcèlement moral (avec la loi de 2002). Il a également montré que le salarié avait la possibilité d'obtenir réparation du préjudice, qu'une médiation permettait d'éviter de se retrouver dans la même situation que celle du film.
Pour ma part, j'ai insisté sur les changements organisationnels qui sont en partie à l'origine des tensions entre les salariés (gestion en flux tendus, impact des nouvelles technologies qui permettent d'intensifier la charge de travail et la surveillance du salarié).
Une discussion entre les participants a permis d'aborder différents aspects: la place du travail dans la société, des cas de harcèlement, les contradictions entre une volonté de donner plus d'autonomie aux travailleurs mais aussi davantage de contraintes (pression des clients, respect des normes...).

Bref, une soirée comme on aimerait en voir plus souvent.

Pour prolonger le débat, je signale
1 / un excellent ouvrage: les Désordres du travail : enquête sur un nouveau productivisme, Le Seuil, avril 2004.

Une présentation de l'ouvrage ici : Les Désordres du travail
2 / le rapport de Michel Debout sur le harcèlement moral de 2001(à l'origine de la loi): Le rapport sur le harcèlement moral
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