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Pour redonner du sens aux mutations économiques et sociales, des articles et des liens liés aux sciences économiques et sociales, aux débats actuels.

la vie est à nous: la belle histoire de 1936

Je suis surpris par le global manque d'intérêt des médias (sauf France 5) et des organisations politiques et syndicales (allez sur leur site, vous verrez) concernant les 70 ans du Front Populaire.

Et pourtant, les acquis économiques, sociaux et culturels de 1936 sont encore aujourd'hui considérables :

1 / D'abord des acquis sociaux importants :

- La baisse du temps de travail à 40 heures par semaine et les premiers congés payés.
- Les travailleurs obtiennent le droit d'être défendus par des délégués, l'inspection du travail peut intervenir avant licenciement.
- Les conventions collectives encadrent les relations entre les salariés et des employeurs encore marqués par le paternalisme.
La premiere réforme sera symboliquement associée à la naissance (toute relative) de "la civilisation des loisirs" (qui sera véritablement effective qu'à partir des années 1960).
Les deux derniers points vont permettre de rééquilibrer les relations entre salarié et employeur et d'inscrire celle-ci dans un cadre collectif (et non plus simplement entre un individu qui désire vendre sa force de travail - le travailleur- et une organisation qui souhaite acheter cette force de travail - l'entreprise)

2/ Une politique éducative ambitieuse (sous la direction de Jean Zay) :

- La scolarité est obligatoire jusqu'à 14 ans.
- La multiplication des bourses aux élèves de primaire.

- L'introduction de l'éducation sportive obligatoire,
- La création des Comités des œuvres en faveur des étudiants, ancêtre des CROUS (centre des oeuvres universitaire et scolaire).
- L'essor des colonies de vacances...


3/ Une oeuvre culturelle volontariste:


- Création du Musée de l'Homme, du palais de la Découverte, du CNRS...

- mise en place des tarifs réduits pour les personnes les plus modestes (rien que ça !).

Dans la tradition humaniste et rationaliste, le gouvernement Blum estime que la culture est un bien commun dont il faut démocratiser l'accès.


Certes, le bilan n'est pas tout "rose", loin s'en faut:

- la durée de vie du Front Populaire fut très courte (1936 - 1938: ce qui donna des complexes à la gauche, réputée "incapable de garder le pouvoir" avant 1981).

- Sa politique économique (s'inspirant du New Deal de
Roosevelt: électrification des campagnes, construction de routes et de ponts...) n'a pas porté ses fruits: le redressement de la production industrielle et la réduction du chômage sont inférieurs à celui des autres Etats, l'inflation demeure très forte et les salaires réels n'ont que très peu progressé en 1938 par rapport aux accord Matignon de 1936, le franc a été dévalué...

- Des contradictions importantes sont apparues:
1 / la politique extérieure fut, pour le moins ambigue au moment de la guerre d'Espagne;
2 / c'est la Chambre élue en 1936 (moins 20 députés communistes et 26 députés embarqués pour l'Afrique du Nord) qui vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940, mettant fin à la troisième République (et à la démocratie).

Mais il n'en demeure pas moins que 1936, après d'autres dates, a posé les fondements de la République Sociale.

Deux films incarnent bien l'esprit de 1936:
"la Belle Equipe" et "l'école buissonnière".

Le premier raconte l'histoire d'une bande de copains au chômage qui vont monter une "guinguette" au bord de l'eau avec l'argent gagné grâce à un billet de loterie. Après des débuts prometteurs et enthousiastes (comme le Front populaire), le projet collectif bute sur les intérêts, les stratégies des uns et des autres. Le film comporte deux fins, une "happy end" et une fin tragique (prémonitoire ?). Jean Gabin est définitivement consacré (il incarne magnifiquement "l'ouvrier - prolétaire") , on retrouve la fameuse chanson populaire "Quand on s'promène au bord de l'eau" (reprise par Bruel avec J.L Aubert dans son double album entre-deux)
Tout est là : les espoirs de reprendre en main collectivement son destin, la culture populaire et sa mythologie ouvrière (les guingettes, la chanson, les héros sont des chômeurs...); mais aussi les craintes sur l'avenir, le désespoir, la lâcheté et les petites trahisons de chacun.

Le deuxième film date de 1947 mais évoque le pédagogue Célestin Freinet à travers le personnage de Bernard Blier(lui aussi très remarquable). Ce film (peu connu) vient de ressortir en DVD.
Même s'il ne bouleverse pas le cinéma, il dresse un portrait émouvant d'un jeune instituteur (blessé de 14-18) qui est muté dans un petit village. Il arrive avec ses nouvelles méthodes pédagogiques qui vont dérouter tous les habitants du village et les autorités. Il demande aux élèves d'utiliser les nouvelles technologies (utiliser une presse d'imprimerie), de se mettre en position de produire eux-mêmes leurs savoirs, d'aller chercher les informations à leur source (les habitants du village, les correspondants de classe vont communiquer leurs spécialités, ce qui permettra d'alimenter un journal de classe).
On retrouve la tradition humaniste du front populaire: cette volonté d'être exigeant mais accessible, de reconnaitre chacun pour mieux vivre ensemble. Quelle modernité ! ... à revoir absolument.
pour en savoir plus: la revue BT sur ce film

S'il y a un héritage du Front Populaire, c'est celui-là.


Il faut savoir d'où on vient pour savoir où aller...


Pour aller plus loin: l'excellent site de France 5 sur le sujet


Je ne résiste pas à l'envie de citer le centre confédéral d'éducation ouvrière de la CGT en juin 1936 qui prodigue quelques conseils aux bénéficiaires des premiers congés payés:
"Il y a deux façons de concevoir la période des vacances.
Ou bien en randonneurs, vous irez, à travers toute une région, ceux-là par le train et les autocars, d'autres dans leur modeste voiture personnelle, d'autres en tandem, quelques uns à pied même (...)
Ou bien vous choisirez un lieu de résidence, une plage, une station dans la montagne, un village en pleine campagne, au bord de l'eau; et là vous vivrez paisibles coupant le séjour de quelques excursions joyeuses.
Ce sont là deux emplois du temps qui sont d'abord déterminés par des possibilités financières, nous le savons. Mais ils doivent correspondre aussi à des nécessités différentes.
La randonnée vous permettra de rapporter, avec un lot éclatant de visions, la joie d'avoir vu ce dont depuis si longtemps les autres parlaient, la joie de pénétrer un monde nouveau (...) N'oubliez pas cependant que de telles vacances seront fatiguantes aussi bien par leur rythme que par le cahot des voitures et la poussière des routes. Si votre vie habituelle est déjà une vie enfiévrée, où domine l'usure nerveuse, méfiez-vous des circuits impressionnants par la surface du territoire qu'ils recouvrent (...)
Songez que deux semaines de résidence en pleine nature, avec les longues flâneries sur le sable ou dans le pré aux herbes folles, vous apporteront, avec des joies profondes, plus d'équilibre et plus de détente; surtout ne cédez pas au désir d'aller dans tel endroit célèbre pour la sotte vanité d'en pouvoir discourir triomphalement à votre tour (...)
Ces vacances doivent être, avant tout, une compensation à tout ce que vous refuse d'ordinaire la vie; elles doivent vous offrir une possibilité d'être plus pleinement vous-même (...)


Cité par Danielle Tartakowsky in "Le Front Populaire" La Découverte GALLIMARD
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C
Tiens un article que j'avais raté ! Pourtant ils sont rares !
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E
C'est quoi un syndicat now ? Trop à dire et plus rien à dire à propos de ce qui a été une forme de combat malheureusement soumise maintenant à des petits intérêts corporatistes ... Vraiment au plaisir de vous lire sur un forum ... Des discutions qui peuvent etre interessantes me semble t il ...<br /> Cordialement<br /> E.L ,etc ... 
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