Vous soutenez que la distribution numérique des produits culturels permettra d'en vendre plus, mais dans des quantités moindres. Qu'est-ce que cela signifie ?
Le monde de la musique physique, qui est celui d'une consommation de masse standardisée, est caractérisé par la rareté des canaux de diffusion (radios et télévision essentiellement) et l'espace forcément limité des points de vente. D'où la nécessité de se concentrer sur les goûts les plus évidents, les plus communs du public, autrement dit les blockbusters et le top 50.
En donnant accès à un espace illimité, accessible depuis n'importe quel point la planète, l'Internet a mis à terre cet ancien modèle. Dans la musique comme dans le reste des industries culturelles, la migration vers le numérique signifie qu'il y a désormais la place pour un choix infini et donc une demande illimitée.
C'est le triomphe des niches, small is beautiful ?
Nous assistons à l'effondrement final du système traditionnel avec un transfert du pouvoir, déjà entamé, vers les créateurs et les consommateurs.
Sur le Net, il n'y a plus une seule cible, un public, vous pouvez vous intéresser à tous les goûts des consommateurs et de milliers de microcommunautés. Je me fous du top 50, vu que je peux satisfaire toute ma curiosité en découvrant des milliers de titres de fond de catalogue auxquels je n'avais plus accès depuis longtemps dans les magasins.
Est-ce à dire qu'il n'y aura plus de Madonna ou de Beyoncé ?
Non, mais la part relative de ces poids lourds de l'industrie musicale ne va cesser de baisser. Plutôt que d'avoir quelques très gros morceaux à 10 millions d'exemplaires écrasant tout le secteur et dictant la loi des majors, on va avoir quelques très beaux succès à deux millions d'exemplaires et des dizaines de milliers d'artistes à quelques centaines d'exemplaires ou même moins.
Que conseilleriez-vous aux majors ?
Je leur conseillerais de signer bien plus d'artistes et de passer directement au top 2000 ! L'ennemi, ce n'est pas ce que l'on appelle la piraterie, qui est un terme inapproprié puisque la fréquentation des réseaux P2P n'a rien de criminelle, c'est la volonté de faire perdurer un modèle qui n'a plus aucun sens à l'ère de la profusion numérique...
Le fait que les indépendants s'en tirent aujourd'hui mieux outre-Atlantique que les majors montre que l'Internet est un véritable vecteur de diversité musicale.
Ces derniers peuvent-ils réellement s'affranchir des maisons de disques ?
Techniquement parlant, les artistes n'ont plus besoin de maisons de
disques, oui. Ni pour se produire ni pour se faire connaître, comme l'illustre la puissance colossale du bouche à oreille en ligne. Ils peuvent également trouver des voies de distribution alternatives sur le Net, et demain de nouvelles sources de financement comme la publicité. Si elle veut survivre, l'industrie musicale doit s'adapter et proposer de vrais services en arrêtant de se positionner comme un vendeur d'enregistrements. Elle doit arrêter de prendre les consommateurs pour des pirates doublés d'idiots prêts à se laisser séduire par leur marketing d'un autre âge.