Pour redonner du sens aux mutations économiques et sociales, des articles et des liens liés aux sciences économiques et sociales, aux débats actuels.
ÉCRITS CLANDESTINS SUR LA RÉFORME DE L’ENSEIGNEMENT
NOTES POUR UNE RÉVOLUTION DE L’ENSEIGNEMENT(…) Quand, après la victoire prochaine, nous nous retrouverons entre Français, sur une terre rendue à la liberté, le grand devoir sera de refaire une France neuve.Or, de tant de reconstructions indispensables, celle de notre système pédagogique ne sera pas la moins urgente. Qu’il s’agisse de stratégie, de pratique administrative ou, simplement, de résistance morale, notre effondrement a été avant tout, chez nos dirigeants et (pourquoi ne pas avoir le courage de l’avouer ?) une défaite à la fois de l’intelligence et du caractère. C’est à dire que, parmi ses causes profondes, les insuffisances de la formation que notre société donnait à ses jeunes ont figuré au premier rang. (…)Ne nous y trompons pas, la tâche sera rude.(…) Il sera toujours difficile de persuader des maîtres que les méthodes qu’ils ont longuement et consciencieusement pratiquées n’étaient peut-être pas les meilleures ; à des hommes mûrs que leurs enfants gagneront à être élevés autrement qu’eux-mêmes ne l’ont été (...)
De cette révolution nécessaire, on ne saurait prétendre discuter, en quelques pages, le programme. (…) On se bornera pour l’instant à quelques principes directeurs (…)Un mot, un affreux mot, résume une des tares les plus pernicieuses de notre système actuel : celui de bachotage. C’est certainement dans l’enseignement primaire que le poison a pénétré le moins avant : sans l’avoir, je le crains, tout à fait épargné. L’enseignement secondaire, celui des universités et les grandes écoles en sont tout infectés.« Bachotage. » Autrement dit : hantise de l’examen et du classement. Pis encore : ce qui devrait simplement être un réactif, destiné à prouver la valeur de l’éducation, devient une fin en soi, vers laquelle s’oriente, dorénavant, l’éducation tout entière. On n’invite plus les enfants ou les étudiants à acquérir les connaissances, dont l’examen permettra, tant bien que mal, d’apprécier la solidité. C’est à se préparer à l’examen qu’on les convie. (…) « Tous nos programmes scientifiques d’enseignement secondaire, me disait un physicien, sont conçus en vue de Polytechnique. » (…)Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’insister sur les inconvénients intellectuels d’une pareille manie examinatoire. Mais ses conséquences morales, les a-t-on toujours assez clairement vues : la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves ; la négatoin de toute libre curiosité ; le culte du succès substitué au goût de la connaissance ; une sorte de tremblement perpétuel et de hargne, là où devrait au contraire régner la libre joie d’apprendre (…)Les erreurs des enseignements secondaires et supérieurs sont patentes. Elles peuvent s’exprimer brièvement comme il suit.L’enseignement supérieur a été dévoré par les écoles spéciales du type napoléonien (…) Nous formons des chefs d’entreprise qui, bons techniciens, je veux le croire, sont sans connaissance réelle des problèmes humains ; des politiques qui ignorent le monde ; des administrateurs qui ont horreur du neuf (…) Enfin nous créons, volontairement, de petites sociétés fermées où se développe l’esprit de corps, qui ne favorise ni la largeur d’esprit ni l’esprit du citoyen (...)
Depuis quelques décades, l’enseignement secondaire est en perpétuel remaniement (…) Le déséquilibre répond à des causes profondes. L’ancien système humaniste a vécu. Il n’a pas été remplacé. D’où un déséquilibre aigu, qui se traduit de bien des façons (…) Aussi bien la désaffection qui enveloppe l’enseignement chez les jeunes n’est pas niable (…)Nous demandons un enseignement secondaire très largement ouvert (…) Nous demandons une discipline plus accueillante dans des classes moins nombreuses ; une discipline exercée par des maîtres et des administrateurs auxquels auront été enseignés au moins les grands principes de cette psychophysiologie, dont je rappelais tout à l’heure l’existence (…) Au lieu de plier l’enfant à un régime implacablement uniforme, on s’attachera à cultiver ses goûts, voire ses « marottes ». Il y avait une grande fécondité dans l’idée des loisirs dirigés (…)Nous demandons une très souple liberté d’options dans les matières d’enseignement : liberté désormais d’autant plus aisée que la suppression du carcan des examens doit permettre une grande liberté d’initiative. Se rend-on bien compte que, par la faute du baccalauréat, la France est actuellement un des rares pays où toute l’expérimentation pédagogique, toute nouveauté qui ne s’élève pas immédiatement à l’universel , se trouve pratiquement interdite ?(…)Folio Histoire, Gallimard, édition 1990,p. 254, 255, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 264, 266, 268.