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"Plusieurs travaux auraient ainsi montré que «libéraux» et «conservateurs» ont des approches cognitives différentes des problèmes. L’an dernier est ainsi parue dans le Journal of Research in Personality (vol. 40, n° 5, pp. 734-749) une étude stupéfiante : les auteurs (des psychologues de UCLA, à Los Angeles) ont repris les dossiers d’enfants dont le comportement avait été étudié alors qu’ils étaient à la crèche, et ont regardé vingt ans plus tard quelles étaient leurs préférences partisanes.
Résultat : en moyenne, les «libéraux» avaient été des enfants sociaux, énergiques, un peu désordonnés, plutôt dominants. Les «conservateurs» avaient été des garçonnets et des fillettes plutôt susceptibles, parfois rigides, vulnérables, avec une tendance à la victimisation. Pas de différences notables de QI (...)
Cette étude amené certains chercheurs à se poser cette question très anglo-saxonne : existe-t-il une base biologique à ces différences de comportement, base qui elle-même semble porter en germe la future obédience politique des intéressés ?
Pour répondre, une équipe de chercheurs de la New York University et de UCLA est allée surveiller un point précis du cerveau de cobayes aux préférences partisanes connues, tout en demandant à ces derniers de se livrer à un exercice simple : taper sur un clavier quand la lettre M apparaissait, ne rien faire quand c’était un W . A quoi peut servir un test si rudimentaire ? A surveiller l’activité électrique d’un coin précis de la matière grise (cortex cingulaire antérieur) où se traitent, notamment, les problèmes de «résolution de conflits».
Comme le M était programmé pour sortir plus souvent que le W , l’apparition de cette dernière lettre provoquait un soudain pic électrique dans la zone étudiée : taper ou ne pas taper ?
Surtout, l’analyse de l’activité électrique du cortex à ce moment précis a permis de voir comment, au niveau neuronal, l’individu faisait face à la nouveauté, comment il y réagissait, c’est-à-dire à quelle vitesse et avec quelle intensité.
Et devinez quoi ? Les pics électriques les plus élevés ont été enregistrés chez les cobayes les plus «libéraux». Ce que l’on peut traduire à la hache par : les «libéraux» sont plus réactifs face à la nouveauté et l’ambiguïté.Les auteurs de l’étude de Nature Neuroscience pensent ainsi avoir fait la preuve d’une différence de fonctionnement neurobiologique entre «gauche» et «droite». Ils se félicitent d’avoir été les premiers à établir une connexion nette entre idéologie politique et activité neuronale, et estiment avoir toute autorité pour conclure : «L’orientation politique reflète en partie des différences individuelles dans le fonctionnement d’un mécanisme général lié au contrôle cognitif et à l’autorégulation.»
L’an dernier, lors de réunions de la Société américaine de sciences politiques, les chercheurs John R. Alford et John Hibbing ont présenté des communications aux intitulés ahurissants : «Comment les orientations politiques sont-elles transmises génétiquement? Un programme de recherche»,ou encore «Les bases neurobiologiques de la démocratie représentative.»
"il me semble qu'une cause majeure de malentendu réside dans le fait que l'on considère comme une prise de position normative sur le monde social quelque chose qui se pense comme une analyse positive de ce monde, une analyse qui se veut aussi proche que possible de la réalité. Autrement dit, quand par exemple on parle de déterminisme à propos de ce que j'écris, on devrait se demander – pour dire les choses très simplement – si cela tient à moi ou à la réalité dont je parle. C'est, je crois, la manière la plus simple d'indiquer un principe général de réponse : je pourrais dire à peu près la même chose à propos de toutes les questions que vous m'avez posées.
Bizarrement, au lieu de m'accorder le mérite de la découverte – au sens actif d'action de découvrir – on me fait reproche de ce qui se trouve ainsi découvert, révélé. Un peu comme si on tenait le photographe de guerre pour responsable des horreurs de la guerre... Si on n'aime pas ma sociologie, c'est peut-être parce qu'on n'aime pas ce qu'elle révèle ; parce qu'on ne veut pas voir les choses en face, comme elles sont.
Pourquoi par exemple s'accrocher à la notion de sujet ? L'essentiel de ce que je peux répondre a été dit dans la question. Les durkheimiens rappelaient que la notion d'individu, la notion de personne, sont des constructions sociales qui se sont élaborées peu à peu dans l'histoire, par un travail collectif, et qui sont continuellement reproduites, et inculquées, notamment par le système scolaire qui produit et reproduit des principes de vision du monde social parmi lesquels l'opposition entre l'« unique » et le « commun » est une des plus puissantes.
En fait, dans la réalité, on rencontre beaucoup de sujets au sens d'« assujettis », et d'abord dans le milieu intellectuel ! Les intellectuels sont particulièrement assujettis parce qu'ils se croient particulièrement libres. De tous les groupes sociaux, les intellectuels sont les plus portés à l'illusion de la subjectivité autonome et du même coup beaucoup plus vulnérables aux ruses des déterminismes sociaux."
Pierre Bourdieu