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Pour redonner du sens aux mutations économiques et sociales, des articles et des liens liés aux sciences économiques et sociales, aux débats actuels.

On n'est pas à un paradoxe démocratique près, non ?

democratie.jpgEn première, option Sciences Politiques, nous devons aborder les différentes questions sur l'organisation des pouvoirs dans notre démocratie.
Sans rentrer dans des débats trop techniques, on peut néanmoins essayer de réfléchir sur les règles du jeu démocratique.


Il se trouve que la commission Balladur a rendu des propositions pour "Une Cinquième République plus démocratique".
Je ne vais evidemment pas faire le tour de toutes les propositions, mais m'attarder sur quelques unes.
Aujourd'hui, ce sera la proposition n° 11 qui est détaillée page 21 du rapport voir ici




D'abord, quelques éléments de repères sur l'article 16 de la constitution.

Il donne les pleins pouvoirs au Président de la République en cas de crise grave:

« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle
du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. 
Il en informe la nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. le Conseil Constitutionnel est consulté à leur sujet. le Parlement se réunit de plein droit.
L'Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.» 



Dans l'esprit des constituants, cet article devait permettre d'éviter ce qui c'était passé en 1940 où le président de la République (Albert Lebrun) n'avait pas eu les moyens de gérer la crise liée à la débâcle militaire.
Il s'agissait aussi de se donner les moyens  juridiques d'empêcher une insurrection (communiste à l'époque de la guerre froide).

 
Cet article a été utilisé une seule fois: c'était au moment du putsch des généraux d'Alger en 1961.
De Gaulle en profita pour prendre diverses mesures. En voici quelques unes:
- il prolongea l'état d'urgence jusqu'à nouvelle décision
- toute personne encourageant la subversion sera internée administrativement
- la garde à vue est portée de 5 à 15 jours
- interdiction d'écrits ou de périodiques appuyant la subversion ou diffusant des informations secrètes d'ordre militaire ou administratif...
(source: O.Duhamel, le pouvoir politique en France, Seuil, 1993)

L'article 16 a fait l'objet de plusieurs critiques très importantes:

- on a accusé cet article de permettre juridiquement l'installation d'une dictature temporaire en confiant les pleins pouvoirs à une personne (les précautions prises, notamment de consultation du premier ministre, des présidents de l'Assemblée Nationale et du Sénat et du Conseil Constitutionnel étant purement formelles)

- lorsqu'il a été appliqué en 1961, la durée de son application a été abusivement prolongée: les pouvoirs publics avaient retrouvé un fonctionnement normal, le putsch a été contrôlé, mais l'article 16 continuait d'être appliqué.

- la décision d'utiliser l'article 16 et les actes pris durant son application constituent "un acte de gouvernement" (arrêt du 2 mars 1962 du Conseil d'Etat dit "arrêt Rubin de Servens"). Par conséquence, une loi violant les libertés fondamentales mais prise dans le cadre de l'article 16 ne peut faire l'objet d'un recours devant le juge.


mis7-1.jpg

Après avoir donné ces points de repères, examinons l'actualité du sujet.

Que propose la commission Balladur ?

1 / Elle ne revient pas sur l'existence même de cet article.

Son principe est justifié par "la diversité des menaces potentielles qui pèsent sur la sécurité nationale à l'ère du terrorisme mondialisé".
Le rapport donne l'impression que le principe même de cet article ne pose pas problème. Or, ce n'est pas le cas (voir ici)
Pourquoi ne pas avoir fait état des arguments des uns et des autres ?

2 / Elle propose que des limites soient posées:

     - la première limite est déjà inscrite dans la constitution: le premier alinéa de l'article 68 permet aux parlementaires de destituer le chef de l'Etat en cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat".

     - la deuxième limite est mise en place par la proposition n° 11: au bout d'un mois d'exercice des pouvoirs exceptionnels, 60 députés ou sénateurs peuvent saisir le conseil constitutionnel pour vérifier que les conditions juridiques de l'application de l'article 16 sont bien respectées.


On le voit, la commission propose un meilleur encadrement de l'utilisation de cet article. Sur ce, elle ne fait que poursuivre ce qui avait été déjà proposé par la commission Vedel en 1992.
"La réforme suggérée consistait à confier au Conseil constitutionnel, sur proposition conjointe du Président de la République et des présidents des assemblées, la mission de constater que les conditions de mise en vigueur de l’article 16 étaient réunies.
" (source: site vie publique)


gar2_anonyme_001f.jpgL’urne et le fusil, gravure de M.L. Boisredon, avril 1848, Bnf.

Cet article pose plusieurs problèmes :

- Ne prenons-nous pas le risque de faciliter une dictature (temporaire ?) (risque n°1)

- Doit-on donner à la démocratie les moyens juridiques de se prémunir face à des dangers qui la menacent ou au contraire doit-on ne pas utiliser les mêmes armes que les adversaires de la démocratie quitte à prendre le risque de faire perdre la démocratie (risque n°2) ?

- si c'est le risque n°1 qui parait le plus important, alors il faut abolir cet article.

Deux contre-arguments face au risque n°2 peuvent être apportés:
        1 / Le contexte a changé, notre démocratie est devenue plus apaisée, la guerre froide n'est plus une justification nécessaire.
         2 / On peut aussi considérer que ce n'est pas un article de la constitution qui résoudra une crise grave. L'utilisation de ce moyen juridique face aux terrorismes n'est pas adaptée.



- si c'est le risque n°2 qui parait le plus évident, alors il faut garder cet article.

Le principal contre-argument que l'on peut mettre en évidence face au risque n°1consiste à essayer de réglementer l'exercice des pleins pouvoirs (leur durée comme leur champ d'application ne doit pas être laissés au seul bon vouloir d'une seule personne)

La commission apporte quelques précisions à ce niveau là. La discussion peut donc porter sur la pertinence des limites imposées à l'usage de cet article 16.

Les limites proposées ne sont-elles pas trop formelles ? Imagine-t-on, en pleine crise, des parlementaires s'opposer au Président de la République ? Quel poids politique peuvent-ils peser ? Quels moyens disposeront-ils pour vérifier que les règles d'application de l'article 16 ont été respectées ?

On le voit, l'existence de cet article et les conditions de son utilisation posent de nombreuses questions.
On aurait aimé qu'une commission qui s'intitule "Vers une Cinquième République plus démocratique", composée de personnalités politiques et juridiques de premier plan
fasse état des différentes positions (au sein du champ politique).
On n'est pas à un paradoxe démocratique près !


"C'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites".
Montesquieu
  De l'esprit des lois, livre XI, 1748.



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C
j'apprécie l'article et le trouve dans la même veine que le contenu habituel du blog: informé, clair et intéressant, non mais! ;-)
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C
trés bon article qui tranche avec le contenu habituel du blogen plus c'est un sujet trés important et trés interessant
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