La réflexion sur les médias est aussi ancienne que les médias : au XIV, le contrôle préalable des manuscrits est pris en charge par l'Eglise. L'invention de l'imprimerie par Gutenberg va permettre aux autorités politiques et religieuses de s'emparer du livre pour en faire un outil de propagande.
On est donc convaincu du pouvoir des médias, de leur effet de persuasion.
La réflexion théorique, approfondie ne s'engage qu'au XIXème siécle c'est-à-dire au moment où le texte imprimé se diffuse dans une presse de masse.
D'autres conditions seront nécessaires pour produire de nouvelles connaissances sur ce thème : des transformations sociales liées à l'évolution vers une société industrielle, urbaine dans laquelle les progrès de l'alphabétisation vont jouer un rôle clé.
Le tournant sera également réalisé avec l'avènement de nouvelles sciences, à la fin du XIX, début XX : ce sont les sciences sociales avec notamment, sur ce sujet, la sociologie et la psychologie qui permettront de mieux comprendre l'influence dont sont capables les moyens de communication.
Thèse : les médias nous disent ce qu'il faut penser, le récepteur modifie ses opinions en fonction du message diffusé par l'émetteur
A relier au contexte de l'époque :
1930-1940 :émergence des régimes totalitaires qui font un usage massif et central de la propagande d'où le pessimisme radical.
1960-1970 : la société de masse et ses médias réputés « alienants » (début de la TV). Par exemple : selon Habermas, la politique n'est plus un espace public de délibération rationnelle mais un spectacle que l'on est convié à consommer au même titre que d'autres marchandises.
Le 30 octobre 1938, sur CBS, un présentateur de radio annonce d'une voix angoissée qu'un vaisseau spatial venu de Mars s'est posé, que les Martiens progressent vers New York en tuant tout devant leur passage. En entendant cette nouvelle, des milliers de gens s'enfuient de chez eux, les hôpitaux accueillent des gens frappés d'hystérie.
Il s'agissait d'une adaptation fort réussie du roman de H-G Wells, la guerre des mondes, par Orson Welles.
C. Debbasch, J.M. Pontier, Introduction à la politique, Dalloz 1998
Le canular en BelgiqueDoc.2 : Deux ouvrages clés.
Le postulat de l'ouvrage du sociologue allemand Serge Tchakhotine est que « par certaines pratiques, on peut affaiblir la faculté de résistance des mécanismes nerveux supérieurs comme l'écorce cérébrale : il suffit de provoquer une généralisation de l'inhibition interne. Si dans ces conditions le sujet est frappé par une parole impérative ou par un ordre, cet ordre devient irrésistible » in le viol des foules par la propagande 1939.
Paru aux Etats-Unis en 1958, la Persuasion clandestine de Vance Packhard postule lui aussi que les médias disposent d'un pouvoir quasi illimité pour modeler les consciences.
Son analyse porte essentiellement sur la publicité. Mais Packhard met en avant la réflexion d'un publicitaire qui se vante de pouvoir mener à la victoire aussi bien un candidat républicain que démocrate.
Ces propos, nous dit Packhard, sont le signe que le citoyen est « de plus en plus traité comme le chien aux réflexes conditionnés de Pavlov ». Il suffit de matraquer quelques formules simples et concises, capable de susciter chez l'auditeur une gamme variée d'émotions (peur, espoir, désir...). Avec le temps, l'auditeur s'habitue à ces formules, les prescriptions qu'elles contiennent le feront saliver, et cela deviendra pour lui un réflexe que d'y obéir.
M. Derville, le pouvoir des médias : mythe ou réalité, PUF, 1996
Voici un autre exemple, moins dangereux, de montage sur un film que tout le monde a déjà vu: Mary Poppins. Un bel exercice de style, je trouve, non ?
Thèse : les médias renforcent plutôt nos opinions pré-existantes qu'ils ne les modifient.
De plus l'action des médias n'est pas directe. L'idée sous-jacente, c'est que le public n'est pas passif, ni isolé.
A relier aux principes de la démocratie : le citoyen est assez intelligent pour se forger une opinion propre, ce qui évacue l'idée d'une manipulation générale, mais n'exclut pas des influences extérieures.
Doc.3 : La publication en 1944 de The People's choice marque une rupture majeure. Menée à l'occasion de la campagne présidentielle opposant Roosevelt à Wilkie en 1940, l'étude P. Lazarsfeld cherchait à identifier les différents facteurs déterminants le choix des électeurs. Les résultats montrent que le vote d'un individu est principalement déterminé par son groupe social d'appartenance (...)
Quatre ans plus tard, dans Voting, a study of Opinion Formation in a Presidential Campaign, P. Lazarsfeld renforçait ces conclusions en montrant que les individus qui avaient le plus changé d'opinion au cours de la campagne étaient en même temps ceux qui étaient les moins exposés aux médias.
Il précisait les mécanismes de la résistance au changement d'opinion en montrant l'existence d'une exposition sélective : la plupart des individus se préservent du changement en s'exposant aux messages qui s'accordent avec leur opinion déjà constituée. Autrement dit l'effet de la communication est de renforcer les opinions existantes.
D. Reynié, médias, pouvoir et politique in Découverte de la science politique n° 276 la documentation française 1996
Doc.4 : Ce phénomène de renforcement d'opinion s'explique par trois processus :
1°) l'exposition sélective : les individus écoutent plus facilement la propagande leur parti que celle de leur adversaire
2°) la perception sélective qui est l'application d'une idée simple : on ne voit bien et on n'entend bien que ce que l'on veut bien voir et entendre ; on est donc plus réceptif aux informations et arguments qui vont dans le sens de ce que l'on pense qu'à ceux qui contredisent ses opinions
3°) la mémoire sélective : on retient mieux ce qui va dans le sens de ses propres opinions.
C. Debbasch, J.M. Pontier, Introduction à la politique, Dalloz 1998
Doc.5 : en 1955, E. Katz et P. Lazarsfeld publie Personal influence.
La partie la plus neuve de ce livre comportait les résultats d'une enquête menée sur 800 ménagères d'une petite cité du Middle West américain. Elle portait sur les changements effectués par ces ménagères dans quatre domaines : les achats ménagers, la mode, les affaires publiques et la fréquentation des salles de cinéma. Les femmes interrogées devaient notamment dire si les différentes sources d'information dont elles avaient disposé avaient ou non joué un rôle dans leur nouveau choix.
Le facteur décisif fut les contacts personnels qui surclassaient les moyens d'information dans chacun des domaines étudiés.
E.Katz et P. Lazarsfeld estimaient donc fondées leurs hypothèses de départ :
- les individus sont d'abord soumis aux pressions des « groupes primaires » auxquels ils appartiennent (famille, proches, amis, collègues...). Ces groupes primaires maintiennent une conformité d'opinion parmi leurs membres ; les groupes ayant besoin pour se perpétuer que ne soit pas rompue cette conformité d'opinion, leur influence s'exerce dans le sens d'une résistance aux médias qui pourraient aller dans un sens non conformes aux normes et aux aspirations de ces groupes.
- l'influence des contacts personnels est définitive plus efficace que celle des médias.
- Les relations interpersonnelles servent de relais entre les gens qui sont exposés à l'influence des médias et ceux qui ne le sont pas. Ce rôle de relais est assuré par des « leaders d'opinion ».
Thèse : les médias ont bien une influence, mais laquelle ?
Les journalistes et les médias sont des intermédiaires incontournables de toute communication de masse et exercent forcément sur les nouvelles et les enjeux un pouvoir :
=> la fonction d'agenda : ils ne nous disent pas ce qu'il faut penser mais ce à quoi il faut penser.
=> la fonction d'évaluation : ils réalisent une mise en scène favorable ou défavorable de l'info.
Doc. 6 : L'hypothèse qui, depuis 25 ans, recueille une assez large adhésion, pose que l'influence des médias est davantage « cognitive » que « normative » : les médias réussiraient assez peu à orienter les opinions des gens, mais ils seraient très efficaces pour orienter leur attention sur tel ou tel objet.
Cette hypothèse, surnommée agenda setting (ou « fonction d'agenda ») a été étudiée pour la première fois par deux sociologies américains, M. Mc Combs et D. Shaw qui, lors de la campagne électorale américaine de 1968, ont observé que les électeurs accordaient aux différents enjeux de la campagne le même degré d'importance que les médias pouvaient le faire (...) Autrement dit, l'influence des médias consisterait moins à nous faire aimer ou détester Madonna ou Bill Clinton qu'à les rendre intéressants (...)
Jean Charron, Sciences Humaines n° 74 juillet 1997
L'Express de cette semaine titre sur "Internet, le cinquième pouvoir".
Faut-il croire la toute puissance des médias alors que:
- au printemps 2005, beaucoup de médias faisaient campagne pour le OUI
- la circulation de l'information se démocratise, se décentralise avec le web et les blogs.
voici ici un très bon lien sur l'utilisation récente d'une photo en période de guerre.