1 septembre 2007
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A peine installé dans mes pénates que l'actualité me fait réagir.
Décidemment, l'histoire se répète: la filière ES est mise en cause par le ministre de l'éducation nationale. C'est une petite phrase (comme toujours) dans Paris-Match du 23 août 2007 qui a mis le feu aux poudres :
"Attention, en particulier aux filières sans débouché évident. Je pense à 'ES' (économique et social). Elle attire beaucoup d'élèves qui occupent ensuite de grands amphis mais se retrouvent avec des diplômes de droit, psychologie, sociologie... sans toujours un emploi à la clef".
Puis c'est la récidive lors de la conférence de rentrée du même ministre:
La voie générale doit être réorganisée en vue de ces objectifs. Je pense notamment à la réduction des déséquilibres qui opposent les différentes filières du baccalauréat, entre une filière scientifique prestigieuse au lycée mais insuffisante à faire émerger de réelles vocations scientifiques, une filière économique et sociale aux débouchés incertains et une série littéraire en déclin constant depuis dix ans, qui n’accueille plus qu’un lycéen sur dix.
Ce n'est pas la première fois que des attaques sont ciblées sur la filière ES.
Voici quelques réflexions personnelles avec une sélection de billets.
a) Les programmes sont jugés trop ambitieux:
" Quoi, vous faites tout cela : la mondialisation, le progrès technique, les déterminants de l'investissement, les politiques économiques conjoncturelles et structurelles etc..." C'est la réaction des universitaires à la lecture rapide de nos manuels de Terminale.
Ils n'ont pas tort si on raisonne en tant qu'universitaire ; mais notre optique n'est pas vraiment la même. Il s'agit, à mon sens, de donner des éléments de réflexion sur les mutations sociales et économiques en cours et non d'en faire des spécialistes en statistiques, en finances publiques ou en macro-économie.
Vouloir traiter le programme comme le feraient des professeurs d'universités conduirait à faire des cours se réduisant à des catalogues de théories / mécanismes qui s'empilent (car on doit boucler le programme dans les délais).
Conséquence: les élèves ne retiennent rien, ils sont noyés sous l'avalanche des concepts, l'économie et les sciences sociales deviennent vite des objets vidés de leur sens.
La question est donc de savoir doser entre la nécessité d'apporter des éléments élaborés d'analyse et le besoin d'être compris par les élèves: ni trop élitiste, ni trop simpliste, juste intéressant et exigeant. C'est là le savoir-faire de l'enseignant ^^.
Force est de constater que "l'enseignant de base" n'est pas toujours bien aidé en la matière:
- L'élaboration des programmes de SES est quelquefois le fruit de luttes entre les différentes disciplines universitaires (économie et sociologie); voire même entre les différentes approches à l'intérieur d'une même discipline (tel universitaire jugeant que cette notion qu'il a lui même forgée est essentielle et voudra absolument l'imposer....).
Les universitaires sont garants du contenu scientifique de nos programmes, ils sont indispensables. Mais le risque est de trop caler nos enseignements sur leurs intérêts disciplinaires.
- De plus, les éditeurs de manuel ont aussi tendance à jouer de la surenchère. C'est à celui qui ira le plus loin dans les prolongements: voir par exemple dans les manuels de la fin des années 1990 l'inflation des théories sur le chômage (alors que le programme n'y incite pas particulièrement). Je n'ose pas croire qu'il s'agit d'une stratégie commerciale de différenciation ^^
On comprend mieux maintenant les réactions sur l'ampleur des programmes...
La mort aux trousses (A.Hitchcock)
b) Pour d'autres, au contraire les programmes sont jugés trop peu exigeants:
On entend souvent:
"Vous faites un peu d'économie et de sociologie, sans vraiment aborder les règles de chacune de ces disciplines.
Les SES ne sont pas une matière enseignée à l'Université en tant que telle."
Là encore, nous ne sommes pas irréprochables: nos programmes doivent évoluer (et le font d'ailleurs).
On ne peut plus enseigner l'entreprise, ou les théories / méthodes en sciences sociales (holisme versus individualisme méthodologique) et économiques (keynésiannisme versus libéralisme) comme au temps où j'étais lycéen au milieu des années 1980.
Nous avons modifié nos pratiques en partie, mais il reste encore du chemin à faire pour penser la complexité à l'aide des outils de chacune des disciplines.
Pour autant, nous avons des atouts qui expliquent d'ailleurs en partie le succès de cette matière chez les élèves.
En prise avec l'actualité, nous tentons de mobiliser les apports de différentes disciplines pour éclairer par exemple le rôle de la monnaie ou la question des inégalités.
En combinant savoirs théoriques, exemples et utilisation de documents divers, nous pouvons redonner sens, mettre les élèves dans une position qui déstabilise leurs "cela va de soi" et les faire rentrer dans un état d'esprit les préparant aux études supérieures.
Il faut dire que, comme les sciences sociales ne sont pas enseignées avant le lycée, les élèves ont des représentations du monde social très "naturalisantes".
Par delà ces critiques, il me semble qu'on peut y voir une remise en cause implicite du processus de massification des études.
Je renvoie à l'ouvrage d'Eric Maurin dont je viens de lire quelques extraits dans le Nouvel Observateur de cette semaine (voir ici l'article du Monde)
c) les critiques sur l'idéologie des enseignants:
Vous avez une vision caricaturale (de l'entreprise - un des thèmes très à la mode depuis quelques années...) et idéologique (la preuve: les profs de SES seraient trop - au choix-: keynésiens, marxistes, altermondialistes, syndicalistes, bourdieusiens etc....).
J'avais déjà écrit il y a un an ce billet.
On peut par ailleurs relire d'autres articles à ce sujet ici et là
(je sais, je devrais varier mes sources ^^ mais je suis très fan, c'est mon côté midinette ^^)
Je suis toujours sidéré de voir avec quel aplomb ceux qui taxent les autres d'idéologues se considèrent eux mêmes comme les détenteurs de la raison. Vous connaissez ce type de discours maintes fois répété : Les syndicats font de la politique, de l'idéologie alors que nous agissons pour l'intérêt de la France.
On sent bien que, derrière cette critique, pointe l'idée que si les français ont du mal avec l'économie, c'est parce qu'elle n'est pas bien enseignée.
Pour ma part, il me semble que, concernant la posture des enseignants, la distinction entre les "héritiers" et les autres reste opératoire.
Les premiers sont très attachés au modèle de l'excellence scolaire à la française (l'élitisme républicain), les autres se reconnaissent davantage dans le modèle démocratique à mon sens. Voir article sur le blog d'un collègue ici
d) Ceci nous amène maintenant à la polémique du jour:
Toutes ces critiques finissent par aboutir à la dernière attaque en règle: c'est d'ailleurs pour cela qu'elle est une filière n'offrant pas de débouchés évidents (cf la phrase de X.Darcos).
Il me semble que les arguments d'OBO sont solides: la filière ES ne s'en tire pas mal si l'on regarde les statistiques du ministère (en tout cas, elle n'a pas à rougir par rapport aux 2 autres filières S et L). On peut également compléter par le site de l'APSES
Ceci étant dit, les rapports s'enchainent pour mettre en avant les problèmes d'orientation (je pense à la question du redoublement ou des taux de réussite à l'université par exemple). Mettre en avant des boucs émissaires (telle filière, les enseignants, les conseillers d'orientation, les parents, les entreprises, les réformes etc...) ne me parait pas toujours satisfaisant. Les mécanismes concourant à la prise de décision des familles sont multiples.
J'avais déjà essayé de cerner quelques enjeux liés à l'orientation dans cet article.
Ce qui me surprend le plus, c'est que ce type de polémique resurgisse à ce moment. Il y a eu un débat démocratique, les français ont tranché, le président a été élu. Que son projet soit appliqué ne me parait donc pas anormal.
Mais que l'on continue d'agiter des chiffons rouges me parait être symptomatique d'un manque de maîtrise et de projet éducatif de nos dirigeants.
La table est mise... il n'y a plus qu'à s'asseoir.
On remet le couvert ?
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Décidemment, l'histoire se répète: la filière ES est mise en cause par le ministre de l'éducation nationale. C'est une petite phrase (comme toujours) dans Paris-Match du 23 août 2007 qui a mis le feu aux poudres :
"Attention, en particulier aux filières sans débouché évident. Je pense à 'ES' (économique et social). Elle attire beaucoup d'élèves qui occupent ensuite de grands amphis mais se retrouvent avec des diplômes de droit, psychologie, sociologie... sans toujours un emploi à la clef".
Puis c'est la récidive lors de la conférence de rentrée du même ministre:
La voie générale doit être réorganisée en vue de ces objectifs. Je pense notamment à la réduction des déséquilibres qui opposent les différentes filières du baccalauréat, entre une filière scientifique prestigieuse au lycée mais insuffisante à faire émerger de réelles vocations scientifiques, une filière économique et sociale aux débouchés incertains et une série littéraire en déclin constant depuis dix ans, qui n’accueille plus qu’un lycéen sur dix.
Ce n'est pas la première fois que des attaques sont ciblées sur la filière ES.
Voici quelques réflexions personnelles avec une sélection de billets.
a) Les programmes sont jugés trop ambitieux:
" Quoi, vous faites tout cela : la mondialisation, le progrès technique, les déterminants de l'investissement, les politiques économiques conjoncturelles et structurelles etc..." C'est la réaction des universitaires à la lecture rapide de nos manuels de Terminale.
Ils n'ont pas tort si on raisonne en tant qu'universitaire ; mais notre optique n'est pas vraiment la même. Il s'agit, à mon sens, de donner des éléments de réflexion sur les mutations sociales et économiques en cours et non d'en faire des spécialistes en statistiques, en finances publiques ou en macro-économie.
Vouloir traiter le programme comme le feraient des professeurs d'universités conduirait à faire des cours se réduisant à des catalogues de théories / mécanismes qui s'empilent (car on doit boucler le programme dans les délais).
Conséquence: les élèves ne retiennent rien, ils sont noyés sous l'avalanche des concepts, l'économie et les sciences sociales deviennent vite des objets vidés de leur sens.
La question est donc de savoir doser entre la nécessité d'apporter des éléments élaborés d'analyse et le besoin d'être compris par les élèves: ni trop élitiste, ni trop simpliste, juste intéressant et exigeant. C'est là le savoir-faire de l'enseignant ^^.
Force est de constater que "l'enseignant de base" n'est pas toujours bien aidé en la matière:
- L'élaboration des programmes de SES est quelquefois le fruit de luttes entre les différentes disciplines universitaires (économie et sociologie); voire même entre les différentes approches à l'intérieur d'une même discipline (tel universitaire jugeant que cette notion qu'il a lui même forgée est essentielle et voudra absolument l'imposer....).
Les universitaires sont garants du contenu scientifique de nos programmes, ils sont indispensables. Mais le risque est de trop caler nos enseignements sur leurs intérêts disciplinaires.
- De plus, les éditeurs de manuel ont aussi tendance à jouer de la surenchère. C'est à celui qui ira le plus loin dans les prolongements: voir par exemple dans les manuels de la fin des années 1990 l'inflation des théories sur le chômage (alors que le programme n'y incite pas particulièrement). Je n'ose pas croire qu'il s'agit d'une stratégie commerciale de différenciation ^^
On comprend mieux maintenant les réactions sur l'ampleur des programmes...
La mort aux trousses (A.Hitchcock)
b) Pour d'autres, au contraire les programmes sont jugés trop peu exigeants:
On entend souvent:
"Vous faites un peu d'économie et de sociologie, sans vraiment aborder les règles de chacune de ces disciplines.
Les SES ne sont pas une matière enseignée à l'Université en tant que telle."
Là encore, nous ne sommes pas irréprochables: nos programmes doivent évoluer (et le font d'ailleurs).
On ne peut plus enseigner l'entreprise, ou les théories / méthodes en sciences sociales (holisme versus individualisme méthodologique) et économiques (keynésiannisme versus libéralisme) comme au temps où j'étais lycéen au milieu des années 1980.
Nous avons modifié nos pratiques en partie, mais il reste encore du chemin à faire pour penser la complexité à l'aide des outils de chacune des disciplines.
Pour autant, nous avons des atouts qui expliquent d'ailleurs en partie le succès de cette matière chez les élèves.
En prise avec l'actualité, nous tentons de mobiliser les apports de différentes disciplines pour éclairer par exemple le rôle de la monnaie ou la question des inégalités.
En combinant savoirs théoriques, exemples et utilisation de documents divers, nous pouvons redonner sens, mettre les élèves dans une position qui déstabilise leurs "cela va de soi" et les faire rentrer dans un état d'esprit les préparant aux études supérieures.
Il faut dire que, comme les sciences sociales ne sont pas enseignées avant le lycée, les élèves ont des représentations du monde social très "naturalisantes".
Par delà ces critiques, il me semble qu'on peut y voir une remise en cause implicite du processus de massification des études.
Je renvoie à l'ouvrage d'Eric Maurin dont je viens de lire quelques extraits dans le Nouvel Observateur de cette semaine (voir ici l'article du Monde)
c) les critiques sur l'idéologie des enseignants:
Vous avez une vision caricaturale (de l'entreprise - un des thèmes très à la mode depuis quelques années...) et idéologique (la preuve: les profs de SES seraient trop - au choix-: keynésiens, marxistes, altermondialistes, syndicalistes, bourdieusiens etc....).
J'avais déjà écrit il y a un an ce billet.
On peut par ailleurs relire d'autres articles à ce sujet ici et là
(je sais, je devrais varier mes sources ^^ mais je suis très fan, c'est mon côté midinette ^^)
Je suis toujours sidéré de voir avec quel aplomb ceux qui taxent les autres d'idéologues se considèrent eux mêmes comme les détenteurs de la raison. Vous connaissez ce type de discours maintes fois répété : Les syndicats font de la politique, de l'idéologie alors que nous agissons pour l'intérêt de la France.
On sent bien que, derrière cette critique, pointe l'idée que si les français ont du mal avec l'économie, c'est parce qu'elle n'est pas bien enseignée.
Pour ma part, il me semble que, concernant la posture des enseignants, la distinction entre les "héritiers" et les autres reste opératoire.
Les premiers sont très attachés au modèle de l'excellence scolaire à la française (l'élitisme républicain), les autres se reconnaissent davantage dans le modèle démocratique à mon sens. Voir article sur le blog d'un collègue ici
d) Ceci nous amène maintenant à la polémique du jour:
Toutes ces critiques finissent par aboutir à la dernière attaque en règle: c'est d'ailleurs pour cela qu'elle est une filière n'offrant pas de débouchés évidents (cf la phrase de X.Darcos).
Il me semble que les arguments d'OBO sont solides: la filière ES ne s'en tire pas mal si l'on regarde les statistiques du ministère (en tout cas, elle n'a pas à rougir par rapport aux 2 autres filières S et L). On peut également compléter par le site de l'APSES
Ceci étant dit, les rapports s'enchainent pour mettre en avant les problèmes d'orientation (je pense à la question du redoublement ou des taux de réussite à l'université par exemple). Mettre en avant des boucs émissaires (telle filière, les enseignants, les conseillers d'orientation, les parents, les entreprises, les réformes etc...) ne me parait pas toujours satisfaisant. Les mécanismes concourant à la prise de décision des familles sont multiples.
J'avais déjà essayé de cerner quelques enjeux liés à l'orientation dans cet article.
Ce qui me surprend le plus, c'est que ce type de polémique resurgisse à ce moment. Il y a eu un débat démocratique, les français ont tranché, le président a été élu. Que son projet soit appliqué ne me parait donc pas anormal.
Mais que l'on continue d'agiter des chiffons rouges me parait être symptomatique d'un manque de maîtrise et de projet éducatif de nos dirigeants.
La table est mise... il n'y a plus qu'à s'asseoir.
On remet le couvert ?
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